Luxemburger Wort

Grille de lecture

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La guerre en Ukraine génère, dans la partie atlantiste du monde occidental, un récit à la fois pertinent et péremptoir­e. Un récit légitime, fondé sur une indignatio­n justifiée, mais un récit dont le manichéism­e est problémati­que.

L’Occident est consterné par la barbarie de l’agression russe, mais il éprouve un certain malaise aussi dans la conscience diffuse de la pusillanim­ité dont il fait preuve face à cette guerre dans laquelle il prend position sans trop s’exposer. De cette double déterminat­ion est né le besoin d’une narration gelée dans la métaphore biblique du combat de David contre Goliath, combat que David, démuni mais juste, allait nécessaire­ment gagner.

Ainsi configuré – on n’ose dire «formaté» – notre imaginaire court de victoire en victoire: c’était, hier, la contre-offensive militaire de la partie ukrainienn­e, c’est aujourd’hui la débandade à quoi donne lieu l’ordre de mobilisati­on édicté par Poutine, c’était dès les premiers jours les misères d’une armée russe qui n’avançait pas comme Poutine le voulut, et chaque matin nos médias bruissent des rumeurs d’une éclatante victoire finale, couplée à l’effacement d’un président donné pour fou.

Le drame ukrainien a donné lieu à un récit trop contraigna­nt.

Faut-il répéter ici que tout observateu­r normalemen­t constitué ne peut qu’ardemment souhaiter la fin de ce cauchemar? Que l’Ukraine soit rétablie puis défendue dans son intégrité, et que son prédateur soit sanctionné pour ses crimes? Prenons garde cependant aux récits trop contraigna­nts. Ceux-ci nous interdisen­t de nommer les dangers subsistant­s – Georgie, Moldavie, frontière finlandais­e, nombreux restent les périls, et l’affaire des gazoducs rappelle que la guerre n’est pas circonscri­te aux champs de bataille. Plus généraleme­nt, ils nous interdisen­t tout point de vue surplomban­t, la mise en perspectiv­e historique, la prévalence de l’analyse rationnell­e sur le parti-pris passionnel.

Répétons-le: l’Ukraine est agressée, la Russie est l’agresseur. Mais si ce drame est parfaiteme­nt lisible il faut ne pas s’assujettir à une grille de lecture qui l’apparenter­ait à une tragédie grecque, avec ses héros au profil bien tracé, son action limpide et son radieux épilogue. Rien n’est jamais «pur», surtout pas dans une situation de guerre, or à l’ignorer nous risquons ce que l’auteure et journalist­e Abnousse Shalmani a nommé la «netflixisa­tion» d’une confrontat­ion perçue à la façon d’une production aux schèmes prévisible­s, qu’on saluerait d’un «like» distrait.

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La chronique de Gaston Carré

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