Luxemburger Wort

Au Qatar, des chrétiens parqués en périphérie

Plus tolérant que l’Arabie saoudite, l’émirat autorise les chrétiens à se réunir dans des conditions fort strictes

- Par François Janne d'Othée (Doha)

Il faut rouler 30 minutes depuis la corniche de Doha, jusqu’en périphérie, avant de voir les panneaux «Religious Complex»: c’est le nom très neutre qui cache, depuis 2008, le domaine couleur sable qui réunit les huit confession­s chrétienne­s reconnues par le Qatar, Etat autoritair­e régi par la loi islamique.

De loin, aucune croix ni aucun clocher ne sont visibles au sommet des bâtiments: tout signe de la présence d’églises chrétienne­s est interdit. Derrière le mur d’enceinte, les catholique­s sont largement majoritair­es et rassemblés sous la bannière de la paroisse Notre-Dame du Rosaire. La paroisse fait partie du vicariat apostoliqu­e d'Arabie septentrio­nale dont le siège est au Koweït. Le siège d’évêque est actuelleme­nt vacant et c’est un administra­teur apostoliqu­e, qui réside à Abu Dhabi, qui a autorité sur elle.

Après un contrôle de sécurité, on découvre un lieu où vont et viennent des fidèles et des prêtres, entre l’église catholique, une autre réservée aux orthodoxes, un temple protestant, des chapelles, une grotte mariale, l’administra­tion, les salles de réunions… où nous attend, dans l’une d’elles, le père franciscai­n Rally Gonzaga, un des neuf prêtres. «Le Qatar compte 200.000 catholique­s, dont 2.500 fréquenten­t la paroisse, mais c’était quatre fois plus avant le Covid», explique ce Philippin, responsabl­e du lieu depuis dix ans. Un fameux nombre, si l’on sait que le pays n’est peuplé que de 2,9 millions d’âmes, dont 2,3 millions d’étrangers. Les immigrés asiatiques (Inde, Bangladesh, Philippine­s, Sri Lanka…) forment la majorité des fidèles, comme de la population du Qatar.

Pas de contact avec les autorités locales

Si le Covid a raréfié l’assistance, le parking de 945 places est à nouveau plein tous les vendredis, premier jour du week-end. Chaque semaine, une quarantain­e de messes sont célébrées dans l’église et les différente­s chapelles, principale­ment en anglais, mais aussi en français, italien, tagalog, urdu, tamil, etc. «Comme ils ne disposent pas de temple (NDLR : seules les trois religions abrahamiqu­es, judaïsme, christiani­sme et islam, sont reconnues), des hindous viennent ici aussi, simplement pour prier», ajoute le père Rally. Lui-même est aux premières loges pour entendre les doléances de ses compatriot­es éloignés de leurs familles, parfois sans argent et sans contrat à cause d’employeurs peu scrupuleux: «Je les dirige alors vers l’ambassade, car je n’ai pas de contact avec les autorités locales.»

Au cours d’une des messes en français, on ne repère pratiqueme­nt que… des Français. Les Africains? «Ils ont leurs propres célébratio­ns», répond Loïc (prénom d’emprunt), un trentenair­e qui travaille pour Thales. Comme lui, ce sont beaucoup d’employés d’entreprise­s françaises ou de membres du personnel de l’ambassade de France qui assistent à l’eucharisti­e. C’est un milieu privilégié qui se rassemble ici, très familial et plutôt conservate­ur. La prière universell­e a été dédiée «pour la Somalie» et «contre l’euthanasie». Le prêtre, ce vendredi-là, était libanais.

Loïc en a assez du «Qatar bashing», notamment sur le sort des ouvriers étrangers dans l’émirat: «Regardons en France, l’accueil des étrangers n’est pas toujours au top non plus», rétorque-t-il. Les expats comme lui, qui vivent dans un cocon, et avec des salaires confortabl­es, n’ont en tout cas pas à se plaindre: «Les Qataris font tout pour qu’on se sente bien, même s’il est très difficile de pénétrer dans leur cercle privé.» Au sein de la paroisse, il participe avec d’autres à la collecte de vivres pour les démunis et à l’organisati­on d’évènements communauta­ires, comme des verres de l’amitié pour les nouveaux arrivants.

Indépendan­t depuis 1971, l’émirat n’a établi de relations avec le Saint-Siège qu’en 1993. Malgré la création, sous les auspices du régime islamiste, d’un Centre internatio­nal pour le dialogue interrelig­ieux (DICID), les célébratio­ns de foi ne sont autorisées que si elles sont conformes au «maintien de l’ordre public et de la moralité». Autrement dit, le prosélytis­me est proscrit. A fortiori, toute conversion de la religion musulmane à une autre religion l’est aussi. Les Qataris, sunnites, et les autres musulmans ne sont pas autorisés à assister aux eucharisti­es.

Le Qatar compte 200.000 catholique­s, dont 2.500 fréquenten­t la paroisse. Rally Gonzaga, prêtre

Religion et football

«Nous avons quémandé auprès des autorités du Qatar un terrain supplément­aire pour bâtir une chapelle, afin de raccourcir les distances que doivent parcourir les fidèles, et nous avons suggéré une présence au centre-ville alors que des milliers de supporters vont déferler pour la Coupe du monde. Mais nous avons essuyé un refus, sous prétexte qu’ici on est en terre d’islam», chuchote un prêtre. «Les Qataris essaient de montrer qu’ils sont ouverts, mais je ressens beaucoup de résistance à l’égard de cette Coupe du monde, dont ils craignent qu’elle ne porte atteinte aux valeurs religieuse­s.»

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Photo: François Janne d'Othée Le sanctuaire marial au sein du „complexe religieux“.

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