Luxemburger Wort

«La lumière a quitté ma vie»

Les témoignage­s poignants des victimes et de leurs familles se succèdent au procès des attentats de Bruxelles, composant un effroyable martyrolog­e

- Par Max Helleff (Bruxelles)

Sa photo avait fait le tour de la planète. Elle y apparaissa­it hébétée, le chemisier déchiré par l’explosion, le visage marqué par la terreur. Il était 8 heures ce matin-là. Deux bombes venaient d’anéantir le hall des départs de Brussels Airport.

Sept ans plus tard, Nidhi Chaphekar est revenue à Bruxelles pour témoigner dans le cadre du procès des attentats du 22 mars 2016. Elle est une des nombreuses victimes appelées à la barre durant ce mois de mars pour raconter comment l’épopée destructri­ce d’une bande de terroriste­s a ruiné leur vie privée et profession­nelle, leurs familles, leurs amis.

«Je veux raconter ce qu’il m’est arrivé, mais aussi ce que mes proches, mes enfants, mon mari ont traversé», a annoncé d’emblée cette ex-hôtesse de l’air indienne de 47 ans. «Voler était ma passion. J’adorais venir à Bruxelles», dit-elle. Mais il y a eu une explosion «de couleurs et de débris» alors qu’elle arpentait le hall des départs avec ses collègues.

Nidhi Chaphekar perd brièvement conscience après la seconde explosion. Les médecins la placent en coma artificiel. Son état se détériore. Au bout de 23 jours, pourtant, elle ouvre les yeux. «Mon mari est entré dans ma chambre, mais il est directemen­t ressorti. Voyant une personne prostrée, sans cheveux, il a pensé que c’était quelqu’un d’autre.» Lorsqu’il reviendra, Nidhi ne le reconnaîtr­a pas. Une partie de sa mémoire a été effacée ce jour-là.

Nidhi Chaphekar détaille la douleur des brûlures, la peau qui s’enlève comme une pelure. «J’ai été tellement brûlée que, à mon admission à l’hôpital, les médecins ont pensé que j’avais la peau noire», dit-elle. Elle énonce ses séquelles: orthopédiq­ues, obstétriqu­es, abdominale­s, musculaire­s. «J’ai encore un morceau de métal logé dans mon orbite oculaire», continue-t-elle en décrivant un corps ravagé, mutilé, encore vivant cependant.

On devine la suite. Les bombes de Zaventem ont tué sa carrière d’hôtesse de l’air. Le secteur aérien indien ne veut pas de cicatrices. «On me dit que ce serait mieux que je travaille dans un autre domaine.» Quant à la famille, elle accuse le coup. Les enfants ont sombré plus d’une fois dans la déprime. La vie ne sera plus jamais comme avant.

Alexander et Sascha Pinczowski ne sont jamais rentrés chez eux. Ils devaient s’envoler vers les États-Unis. Le hasard a voulu qu’ils se soient trouvés à côté d’Ibrahim El Bakraoui lorsqu’il a actionné sa bombe. Ils sont morts instantané­ment. Les vidéos de surveillan­ce les montreront comme avalés par le blast de l’explosion. Marjan Fasbinder, la mère d’Alexander et de Sascha, dit combien elle et son mari espéraient voir dans ces images «des visages enjoués, savoir qu’ils étaient morts avec le sourire, instantané­ment». La frontière entre l’insoucianc­e et la souffrance est ténue. «Nous ne sommes plus les parents fiers de deux enfants fantastiqu­es. Nous devons faire un effort pour nous lever le matin et continuer notre vie», laisse tomber Marjan Fasbender. «La lumière a quitté ma vie …».

Abrini et Krayem dans le box

La semaine qui vient devrait laisser place à d’autres témoignage­s, plus poignants les uns que les autres. Des histoires de femmes et d’hommes brisés par un instinct meurtrier, passant désormais leurs journées entre l’hôpital et les démarches administra­tives, réclamant sans cesse leur dû auprès des compagnies d’assurance, incrédules face à l’acharnemen­t du sort.

Face à eux, le box des accusés est moins vide qu’attendu. Alors qu’ils ont préféré le plus souvent rester en cellule en signe de protestati­on contre les fouilles à nu que leur imposent les gardiens, Mohamed Abrini et Osama Krayem sont présents pour écouter les victimes. Mais pas Salah Abdeslam qui a rejoint une fois encore le cellulaire.

Le 3 mars dernier, l’État belge a défendu devant la Cour d’appel la nécessité de recourir à ces mesures pour des raisons de sécurité. Il s’est opposé au juge des référés qui avait estimé en janvier ce traitement dégradant et violant la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour doit se prononcer d’ici une semaine au plus tôt.

Au-delà de la loi et de ses principes, y at-il une rédemption pour ceux qui ont tué au nom d’un dieu? «Je vous tends la main avec la puissance du pardon. Le pardon pour vous, ce sera peut-être la première longue étape à la guérison. Je suis prêt à vous aider», s’est exclamé jeudi l’ex-basketteur Sébastien Bellin en regardant les accusés. Ses jambes ont été littéralem­ent broyées par les explosions de Zaventem. Il court aujourd’hui le triathlon. Le coeur ne lui a jamais manqué …

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Photo: AFP Nidhi Chaphekar est une des victimes de l'attentat: «Je veux raconter ce qu’il m’est arrivé, mais aussi ce que mes proches, mes enfants, mon mari ont traversé».

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