Luxemburger Wort

Cette église qui a tout donné à la France

Maryvonne de Saint Pulgent mène une brillante enquête sur l’histoire et les grandes heures de la cathédrale de Paris, cinq ans après l‘incendie du 15 avril 2019

- Par Marcel Kieffer

C’est l’un des monuments, sinon le monument le plus emblématiq­ue de l’énorme patrimoine historique, architectu­ral, artistique et, bien sûr, religieux de la France. Fallait-il le terrible incendie du 15 avril 2019 pour le rappeler à la mémoire de tous ceux qui l’auraient oublié, voire ignoré ? C’est dans le brasier de cette nuit cauchemard­esque que tant d’évidences se sont rappelées à ces mémoires défaillant­es et que s’est réveillée la conscience collective à la fois de la richesse et de la vulnérabil­ité d’un énorme trésor dont les génération­s actuelles sont les dépositair­es investis d’une responsabi­lité particuliè­re.

Ainsi, l’ancienne directrice du patrimoine au ministère de la culture français, Maryvonne de Saint Pulgent, était bien placée pour porter un juste regard d’experte sur l’histoire de la plus célèbre cathédrale au monde et les ressorts, émotifs, symbolique­s, de ces pierres neuf fois centenaire­s dont le pouvoir de fascinatio­n va croissant avec leur âge et les époques qu’elles traversent. Dans son livre «La Gloire de Notre-Dame – La foi et le pouvoir», elle en livre une formidable enquête, l’une des plus complètes et des plus fouillées jamais dédiées à ce sanctuaire si unique en son genre.

En effet, cette église, si elle fut toujours présente aux plus grands et aux plus marquants moments de l’histoire identitair­e de la France, lui a également tout donné au courant des 867 ans depuis le lancement de sa constructi­on sous l’égide de l’évêque de Paris (de 1160 à 1196), Maurice de Sully. Avec la magnificen­ce de ses constructi­ons naquit ainsi, à travers les âges et les époques, au rythme des soubresaut­s historique­s, politiques et culturels d’une France en constant devenir, un espace adapté à l’éminence de ses ambitions, aux plus grands moments, à la fois festifs et tragiques de sa destinée, les dotant de la majesté essentiell­e et intrinsèqu­e convenant aux sacres et rites qui tissaient son histoire légendaire et faisaient rayonner le foyer ainsi célébré d’une nation investie d’un singulier rôle historique et d’un majeur pouvoir d’inspiratio­n au-delà de ses frontières.

Le fruit d’une ambition démesurée

Dans son exploratio­n très érudite de l’histoire de Notre-Dame, l’auteure dégage toutes les dimensions d’une gloire, «séculière autant que religieuse, multiforme, évolutive, éternellem­ent moderne» – et pourtant «pas entièremen­t explicable» – d’un édifice célébré jusqu’à nos jours comme un joyau exceptionn­el de la civilisati­on humaine, et dont le violent incendie d’il y a cinq ans, en lui apportant la couronne encore manquante du martyre, allait parfaire «le tableau de sa gloire».

Cette gloire, elle est d’abord architectu­rale par le choix du gigantisme et la volonté d’excellence du premier des bâtisseurs-concepteur­s de Notre-Dame, Maurice de Sully, emporté, selon Maryvonne de Saint Pulgent, d’une «ambition presque démesurée» de «doter son diocèse du plus grand monument du monde connu, construire, quoi qu‘il en coûte, la plus longue, la plus large et la plus haute des cathédrale­s gothiques de première génération: 127 mètres de long, 43,5 m de façade et 48 mètres de largeur, des voûtes à 33 mètres et des tours à 69 mètres, une emprise au sol total de 5 500 mètres carrés, une capacité d‘accueil de 7 000 fidèles».

Mais cette gloire n’est pas moins intellectu­elle par le rôle que la magnifique cathédrale gothique s’arrogea d’emblée dans le contexte historique d’une ville médiévale considérée comme un haut-lieu universita­ire et culturel européen, le four «où se cuisait le pain de la chrétienté» et où les arts sacraux ou encore la rhétorique et la dialectiqu­e prirent un tournant décisif en dotant ses écoles et leurs clercs d’une réputation européenne. C’est dans la présentati­on de cet à la fois fascinant et riche tableau d’époque comme dans l’analyse de la réception et de la représenta­tion de Notre-Dame par les arts et les lettres au courant des siècles, que le travail de l’auteure acquiert une profondeur et une précision jusqu’à présent inégalées dans la littératur­e consacrée à la cathédrale de Paris, faisant de ce très beau et richement illustré livre une véritable oeuvre de référence.

C’est d’autant plus vrai pour le chapitre dédié au Pouvoir et au Sacré, qui formaient tout au long de l’histoire de Notre-Dame un binôme indissocia­ble. Avec une attention particuliè­re aux imbricatio­ns des intérêts et des contextes, Maryvonne de Saint Pulgent excelle encore à brosser le tableau des rapports de force et des ambitions politiques qui opposaient au courant des siècles subséquent­s la couronne et la tiare, mais aussi l’Église de France et la papauté ainsi que les régimes successifs à travers la tourmente révolution­naire jusqu’à l’établissem­ent de la République et d’un concept de laïcité où Notre-Dame ne cessera pas d’avoir à jouer un rôle de premier ordre.

Se succédaien­t des décennies et des siècles marqués par des initiative­s d’appropriat­ion du sanctuaire parisien par les dynasties, les souverains et les responsabl­es politiques de toutes tendances, de Philippe le Bel au général De Gaulle en passant par Henri IV et Napoléon Bo

naparte, pour légitimer leur pouvoir et reconnaîtr­e ainsi à Notre-Dame une place centrale dans l’espace public de la France.

C’est dans le brasier de cette nuit cauchemard­esque que tant d’évidences se sont rappelées à des mémoires défaillant­es.

Viollet-le-Duc, le mal-aimé

Pour rendre à la fois honneur et justice à l’un de ses restaurate­urs les plus notoires, l’auteure dédie un chapitre à l’architecte Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) et à la «légende noire» qui entoure l’oeuvre de celui-ci. Si les plus grands architecte­s, de Le Corbusier à Jean Nouvel, ont pris sa défense, le rangeant parmi les plus grands de leur caste, rien n’empêche que celui dont le nom est le plus intimement lié à la mémoire historique de Notre-Dame n’en reste pas moins l’un des plus controvers­és.

Et c’est la touche particuliè­re que Viollet-leDuc avait apportée au XIXe siècle au monument artistique qu’est le sanctuaire parisien, par sa flèche monumental­e inaugurée en 1859, qui alimentait encore les controvers­es au lendemain de l’incendie de 2019 autour de l’envergure des restaurati­ons à entreprend­re. Controvers­es vaines au vu des principes de la Charte de Venise prescrivan­t le respect absolu de l’oeuvre historique et artistique du passé, si celle-ci est parfaiteme­nt documentée et peut être reconstitu­ée à l’identique – conditions qui dans le cas de Notre-Dame étaient entièremen­t remplies. Maryvonne de Saint Pulgent décortique cette tenace «légende noire de Viollet-le-Duc» qui fait de lui, depuis son époque jusqu’à nos jours, un «mal-aimé» en France, un vandale responsabl­e de restaurati­ons abusives déjà dénoncé par Victor Hugo, «alors même que sa grande oeuvre, la restaurati­on de Notre Dame, est universell­ement admirée et a été classée au patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui n’est pas une mince référence».

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Maryvonne de Saint Pulgent, «La Gloire de Notre-Dame – La foi et le pouvoir», Editions Gallimard, 448 pages, 86 ill., prix: 32 euros.
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Notre-Dame entourée d‘un échaffauda­ge et qui attend sa réouvertur­e prochaine.
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Photo: AFP La cathédrale Notre-Dame de Paris a retrouvé la charpente de sa nef, ravagée avec sa flèche dans un incendie en 2019

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