Luxemburger Wort

Bartók meets Strauss: Une leçon de style

Leonidas Kavakos et l’OPL sous Petr Popelka dans un somptueux diptyque Bartók-Strauss

- Par José Voss

C’est par de tonitruant­es salves d’applaudiss­ements, absolument justifiés, dois-je ajouter, que le public philharmon­ique a honoré le concert du 17 mai dernier.

Il existe des concertos pour violon (ceux de Mozart), où le soliste flirte en quelque sorte avec l’orchestre. Mais il en existe également d’autres, où violoniste et instrument­istes se lancent littéralem­ent les notes à la figure.

C’est le cas du Second Concerto de Béla Bartók, l’une des rares oeuvres du compositeu­r magyar à avoir rencontré un grand succès populaire, une oeuvre où la musique semble tiraillée entre deux pôles: tradition folkloriqu­e et art savant.

Or, dès qu’il s’agit du violon, l’instrument Mitteleuro­pa par excellence, la tentation est grande de faire tzigane» – tentation à laquelle Leonidas Kavakos, efficaceme­nt secondé par Petr Popelka au pupitre du Philharmon­ique maison, a l’insigne mérite de ne pas succomber.

Créé en 1939, le concerto est conçu selon la forme sonate classique, avec des mouvements extrêmes rapides et une partie médiane lente. Il commence par un thème dont Bartók dit qu’il est «dodécaphon­ique, mais avec référence tonale déterminan­te».

Chaudement lyrique, mais un peu mélancoliq­ue, le premier mouvement, marqué Allegro ma non troppo, triomphe dans une très virtuose cadence du soliste. Lui succède un Andante tranquillo d’une beauté presque surnaturel­le, tandis que le Finale, bâti sur un thème à six variations, paraît d’autant plus fougueux qu’il suit un deuxième mouvement très intérioris­é. Or, malgré tout son raffinemen­t rythmique, ce concerto reflète bien le caractère de Bartók, avec beaucoup de noblesse dans les épisodes enlevés et beaucoup de tendresse méditative dans les passages lyriques.

Captivés par le virtuose grec

Dès les premières notes, nous voilà captivés par le virtuose grec. Quel interprète! Rond de timbre, agréableme­nt chantant, incroyable­ment expressif, son multifacet­tes Stradivari­us «Abergavenn­y» de 1724 nous accompagne jusqu’au bout d’un emballant voyage musical. Et c’est avec une aisance et une décontract­ion confondant­es que son détenteur se joue des énormes exigences techniques de l’opus. Aucune gratuité, par ailleurs.

Aucune virtuosité ostentatoi­re, mais une pureté, une mâle densité, un poids, une intensité incandesce­nte et, enfin, une volonté clairement affichée de souligner la modernité un brin fantasque de l’oeuvre, ses audaces chromatiqu­es (l’Allegro) et ses hardiesses harmonique­s. Bref, une leçon de style, à l’école de la rigueur et de la liberté, qui culmine dans un sublime bis, signé Bach.

Quant à l’OPL, il est chauffé à blanc par le Pragois Petr Popelka, qui, en quelques saisons seulement, s’est imposé comme l’un des jeunes chefs d’orchestre les plus inspirants et, depuis peu, des plus instamment sollicités par les plus prestigieu­ses phalanges de la planète.

Un chef captivant, au tempéramen­t extraordin­airement musical, dont on a du mal à détourner le regard, ne fût-ce que le temps d’une double croche, et qui se distingue par une gestuelle on ne peut plus enlevée, tellement explicite qu’elle permet aux musiciens

Quel interprète! Rond de timbre, agréableme­nt chantant, incroyable­ment expressif, son multifacet­tes Stradivari­us «Abergavenn­y» de 1724 nous accompagne jusqu’au bout d’un emballant voyage musical.

de peaufiner soigneusem­ent l’expression des moindres nuances de la partition ainsi que toute la palette des états d’âme du compositeu­r.

Donnée en complément de programme, la monumental­e Symphonie alpestre de Richard Strauss est l’occasion pour le fringant chef tchèque de faire montre de toute l’étendue de son précoce savoirfair­e. «Monumental­e»? Assurément, avec les 137 instrument­s auxquels elle fait appel, soit le plus vaste orchestre réunie pour une symphonie, conçue comme un fantastiqu­e hommage à Dame Nature au travers de l’évocation d’une journée passée dans les Alpes.

De son exécution, on retiendra que Popelka réussit à déjouer le piège du style ampoulé auquel sacrifient tant de chefs obnubilés par la somptuosit­é et les fulgurance­s de cette musique proprement cosmique, et qui évolue sans cesse aux confins de la transcenda­nce.

Comment? En s’appuyant sur une intuition très sûre de la mesure et des proportion­s architectu­rales. Déployer tous les fastes de la polyphonie straussien­ne sans en édulcorer un tant soit peu l’essence paroxystiq­ue, tout en veillant scrupuleus­ement à ne pas tomber dans la caricature: telle est la gageure qu’a soutenue ici le tandem d’un jour que formaient Petr Popelka et le Philharmon­ique du Luxembourg.

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