Travel-Iles by Côte Nord

Comme un goût d’antan

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À Mahébourg, le parfum de l’histoire est omniprésen­t : dans les rues tirées au cordeau, dans la mer, au bord de la rivière La Chaux et même dans l’assiette. En effet, c’est dans cette ancienne capitale de l’île, et plus précisémen­t dans le quartier de la Ville Noire, que se trouve l’unique fabrique de biscuits manioc qui a ouvert ses portes il y a 150 ans. Et depuis, la recette de Hilarion Rault, fils d’un Breton installé depuis le début du siècle dans la colonie de l’Isle de France, ainsi que la méthode artisanale pour confection­ner les biscuits manioc n’ont pas changé et l’usine a gardé ce même charme rustique d’un autre temps. Aujourd’hui, c’est toujours une entreprise familiale, gérée par la cinquième génération : Patrick Sénèque, petit- fils de Thérèse Sénèque, elle- même petite- fille d’Hilarion Rault. Cette biscuiteri­e fait partie du patrimoine mauricien. C’est en voulant reproduire des spécialité­s de la région de son père, les galettes bretonnes, qu’Hilarion Rault mit au point une recette de biscuits à base de manioc vu qu’il n’y avait pas de blé à Maurice en 1868. Il en donna à ses proches qui, conquis, l’encouragèr­ent à les commercial­iser. C'est ainsi que les biscuits manioc furent mis en vente sur le marché local en 1870. Au départ, même si les biscuits étaient appréciés, ils n’ont pas eu énormément de succès. Et pour cause, le manioc, un tubercule originaire d’Amérique du Sud, avait été introduit par Mahé de Labourdonn­ais plus d’un siècle auparavant pour nourrir le bétail et la plupart des gens le percevaien­t donc comme une denrée pour les animaux. Ce n’est que lors de la Première Guerre mondiale, lorsque l’accès aux denrées alimentair­es de base tels que la farine et le riz était restreint, que la population s’est tournée vers les biscuits manioc. C’est à ce moment que l’usine prit son essor, devant même tripler sa production. À cette époque, une centaine de personnes travaillai­ent à l’usine afin de subvenir aux besoins de la population. « Tous les matins, les trains qui assuraient la liaison entre le nord et le sud de l’île, avaient à bord des cargaisons de biscuits » , fait ressortir Patrick Sénèque. Ce succès fut toutefois tempéré par des coups durs au fil des ans : d’abord les plantation­s de manioc furent délaissées pour la canne à sucre, puis le cyclone Carole détruisit les locaux en 1960 et dix ans plus tard, c’était au tour du cyclone Gervaise de mener la biscuiteri­e

au bord du gouffre. L’usine connut également des pénuries de manioc qui l’empêchèren­t de tourner pendant de longs mois… Mais les descendant­s d’Hilarion Rault, en particulie­r Thérèse Sénèque, refusèrent de mettre la clé sous le paillasson, déterminés à garder la tradition vivante. En 1995, ils décident d’ouvrir l’usine au public et de proposer des visites guidées payantes afin de sauvegarde­r la biscuiteri­e. Celleci sera décrétée patrimoine mauricien en 2010. Lors de la visite de l’usine, le public peut voir tout le processus du

« making- of » de ces fameux biscuits manioc : de la récolte du manioc dans les champs à l’emballage des biscuits en passant, bien entendu, par la confection. Dans les champs, quelques travailleu­rs plantent, arrachent, nettoient et récoltent le manioc lorsqu’il arrive à maturité – ce qui prend entre 10 mois et une année. « Aujourd’hui, nous ne sommes plus très nombreux – une trentaine, incluant nos planteurs » . Si la plus grande partie du manioc provient des champs, l’usine doit également en acheter sur le marché local. Avec un guide, les visiteurs assistent à toutes les étapes du procédé de la fabricatio­n. La racine du manioc est d’abord pesée puis passe à travers une machine qui l’épluche et la nettoie. Elle est ensuite broyée et devient une pâte que l’on presse avec une force de 30 tonnes pendant 15 minutes afin d’en extraire le jus, qui, lui, ne sera pas utilisé. Le manioc passe ensuite dans une machine appelée

« cyclone » , puis au tamis. La farine est fin prête et on y ajoute le sucre et le parfum, il en existe sept : beurre, lait, coco, chocolat, vanille, cannelle et anis. On met alors le mélange dans des moules en métal sur la première plaque de cuisson et au bout de cinq minutes, on les retourne pour les mettre sur une deuxième plaque, puis sur une troisième et avant d'être prêts au bout d’une vingtaine de minutes. 20 000 biscuits sont produits tous les jours avant d’être empaquetés et emballés sur place. Depuis peu, l’usine fabrique également des galettes de manioc fourrées au coco ou aux graines de sésame mais

elles sont en vente uniquement à l’usine et à Mahébourg. Après la visite de la biscuiteri­e, place à la dégustatio­n. « La plupart de nos biscuits sont pour le marché local. Comme ils n’ont pas de conservate­ur, pas d’oeufs, de colorant, de gluten ou

d'exhausteur de goût, ils ont trouvé un public spécifique. » En effet, ce biscuit convient aux végétalien­s ou à ceux qui ont des intoléranc­es au gluten. Mais nul besoin de ces raisons pour apprécier un bon biscuit manioc trempé dans une délicieuse tasse de thé…

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