Travel-Iles by Côte Nord

La beauté, c’est ce qui nous aide à mieux vivre

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Invité par le groupe LUX* pour une conférence, le photograph­e- écologiste Yann Arthus- Bertrand en a aussi profité pour présenter son film Human et préparer le prochain, Woman. Avant la conférence, il a bien voulu recevoir Côte Nord et partager sa vision du monde. On le sent parfois désillusio­nné et même amer mais pas découragé. Avec le temps, il semble s’être fait une raison que changer le monde relève de l’utopie. Alors, il préfère voir la beauté là où elle existe et surtout chez l’homme. Aujourd’hui, il choisit le discours d’amour.

Je crois qu’une présentati­on de Yann Arthus- Bertrand serait superflue. Expliquez- nous votre engagement viscéral pour l’environnem­ent, les humains, la Terre…

Je suis un activiste depuis l’âge de 20 ans. J’aime les animaux, j’avais un macaron WWF ( World Wildlife Fund) sur ma voiture. J’aime l’engagement, j’aime convaincre, c’est dans ma nature. Si je vois un bon film, j’essaie de convaincre les autres d’aller le voir ; si je lis un bon livre, j’en achète 10 pour les donner à mes amis. C’était donc une évidence que mes photos soient engagées. Et puis, j’ai l’impression que les gens qui s’engagent ou sont dans les ONG, sont plus heureux que les autres. Moi, je ne fais pas de publicité mais j’essaye toujours de donner du sens à ce que je fais. Je suis un écolo mais aujourd’hui je m’aperçois ce que c’est d’aimer les arbres, la nature mais aussi les gens…

… La vie…

… Oui. C’est quelque chose qui n’a pas été assez exploré à mon avis. Pour changer les gens, peut- être qu’il faut les aimer d’abord. Peut- être que c’est utopique, naïf mais quand je dis dans mes « speeches » que l’amour est la seule solution, je le pense sincèremen­t. De regarder l’autre avec moins de cynisme, moins de scepticism­e dans ce monde très compliqué et déstabilis­é qu’il y a en ce moment ; de regarder les gens avec amour, ça ne veut pas dire grand- chose mais il ne faut pas se laisser envahir par la haine. […] L’homme est une espèce empathique. On naît avec une empathie, c’est l’échec qui nous rend différents. Notre civilisati­on est basée sur la croissance qui a un effet négatif sur la Terre. Nous épuisons nos ressources, nous polluons, l’océan est devenu une poubelle. Cette civilisati­on nous apporte la richesse, nous vivons plus vieux, ça paye les hôpitaux, l’éducation ; tout n’est

pas négatif, loin de là, mais je pense que notre futur est moins important que celui de nos enfants.

Ce qui frappe d’abord dans votre travail, c’est la beauté de l’image, que ce soit pour la photo ou pour les films. Quelle est votre définition de la beauté ?

La beauté, c’est ce qui nous aide à mieux vivre. Quand tu es photograph­e, tu es un peu obsédé par la beauté. La beauté m’attire et m’interpelle et c’est pourquoi je trouve que l’art contempora­in, c’est souvent moche. C’est aussi pourquoi je ne suis pas apprécié par les critiques d’art qui trouvent que je fais de la carte postale. Mais la carte postale c’est bien. C’est ce qu’on envoie aux gens qu’on aime. […] Certaineme­nt, j’ai développé en moi un sens de la beauté

Peut- on tout photograph­ier ou filmer?

Oui. Je le pense. Même les choses les plus épouvantab­les. Je ne parle pas de la sexualité ou de la pornograph­ie mais de l’actualité de ce qui se passe dans le monde. Oui, tout peut- être photograph­ié.

Le changement climatique est une réalité mais les accords comme la COP21, sont peu respectés…

Moi, je n’y crois plus. L’idée que « je peux continuer de polluer, la

COP21 est là » , est utopique. Je pense sincèremen­t que les politiques font leur boulot. Mais nous sommes loin de la réalité. Nous sommes dans l’urgence. Moi je voudrais que l’on consomme moins de viande mais cela implique moins de travail pour beaucoup de gens. Il y a toujours une raison économique qui freine la volonté de tout changer. Notre vie aujourd’hui se résume à une consommati­on excessive : changer sa voiture tous les 2 ans, son smartphone aussi, même moi je le fais. Nous sommes envahis par la publicité, partout. Bref, si vous voulez être un bon citoyen, il faut consommer. C’est le monde que nous avons créé. À mon avis, nous devons nous diriger vers une croissance plus raisonnée. Et cela doit avant tout passer par le vivre ensemble.

Plusieurs personnali­tés écologiste­s, dont vous- même, viennent de réaliser un test de cheveux qui a révélé la présence d’un nombre impression­nant de perturbate­urs endocrinie­ns. Que vous inspire tout cela ?

Cela veut dire que je porte en moi ce qu’est notre monde d’aujourd’hui. Dire que l’océan est pollué de plastique c’est bien, mais moi aussi je suis pollué. C’est très intéressan­t car cela montre qu’il n’y a pas d’un côté, l’homme et de l’autre la nature. Je fais partie de cette nature et je souffre tout autant qu’elle. Prenons l’exemple du diesel ou de la cigarette. Nous savons qu’ils sont cancérigèn­es. Pourtant, nous continuons à les produire. L’État y a tout à gagner. C’est scandaleux. Cet argent gagné devrait être consacré uniquement aux campagnes antitabac. Et mes copains écolos ! Ils mangent bio mais ils fument comme des malades. Nous avons perdu la notion de bon sens. J’aimerais travailler sur le sujet. Pourquoi tant de haine et comment certains y arrivent alors même que nous savons que cela ne mène à rien. Et nous, les pays riches, nous vendons des armes, des Rafales à l’Inde par exemple. On est le pays des Droits de l’Homme !!! Dernièreme­nt, un activiste d’une ONG italienne parlait d’interdire la guerre. Cela peut paraître idiot et pourtant cela ne l’est pas. Pourquoi ne pas passer une résolution des Nations Unies pour interdire la fabricatio­n d’armes et créer une seule armée supranatio­nale des Nations Unies ?

Quand on voit la montée des extrêmes, des populistes comme Trump qui prennent le pouvoir, peut- on croire en un avenir meilleur ?

Ça, c’est une virgule de l’histoire. Il y a une montée des populistes parce qu’il y a une faillite des politiques et des écarts de richesses scandaleux. Moi, je travaille avec des entreprise­s capitalist­es mais je leur dis que le capitalism­e est en train de détruire le monde. Pourtant, le capitalism­e n’est pas toujours négatif. On peut être capitalist­e et être quelqu’un de bien, comme Bill Gates. Il faut regarder le monde avec moins de cynisme. Et, les journalist­es, je les trouve parfois d’une méchanceté gratuite. On ne croit plus aux bonnes choses.

Vous êtes à Maurice pour un projet précis, Woman. Pouvez- vous nous en parler ?

J’ai été invité par le groupe LUX* pour une conférence. En parallèle, j’ai souhaité mettre mon projet en avant. J’ai contacté la MCB en ce sens. Nous sommes toujours à la recherche de financemen­t mais nous avons déjà pris contact avec des femmes à Maurice dont votre présidente de la République avec qui nous avons eu une entrevue extrêmemen­t intéressan­te et émouvante. Ce film Woman est la suite de 6 milliards d’hommes. C’est mettre la parole des gens en avant, être à leur écoute à travers leur singularit­é. La beauté vous amène à l’émotion. C’est aussi ce que je veux faire passer dans mes films.

Quel message aimeriez- vous adresser aux Mauriciens ?

Pas de message mais une chose importante que j’ai notée : la gentilless­e des Mauriciens. C’est assez étonnant. Toutes ces personnes qui travaillen­t avec des salaires vingt fois inférieurs aux touristes qui vous rendent visite, ils pourraient être différents. Et pourtant, ils parlent avec leur coeur et on sent bien que c’est sincère. Je pense même que c’est l’endroit au monde où les gens sont les plus gentils. Ne perdez jamais cette qualité. C’est quelque chose d’exceptionn­el qui vaut de l’or. Le respect de l’autre, c’est ce qu’il y a de plus important au monde.

Peut- être que c’est utopique, naïf mais quand je dis dans mes « speeches » que l’amour est la seule solution, je le pense sincèremen­t.

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