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les Mauriciens doivent prendre conscience de l’importance du patrimoine de l’eau

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Il s’est rendu célèbre à travers ses reportages photo sur la problémati­que de l’eau et surtout sur les Bishnoïs, considérés comme le premier peuple écolo de la planète. Frank Vogel était à Maurice à l’invitation de Meta- morphosis, concepteur du projet Moris Dime qui veut mettre en valeur les fiertés mauricienn­es à l’occasion des 25 ans de la République et des 50 ans de l’Indépen - dance. Il nous parle de son engagement et des risques qu’encourent la planète et Maurice.

Frank Vogel, qui êtes- vous ?

Je suis ingénieur agronome de formation, puis photograph­e. Je viens d’une famille alsacienne qui travaille dans l’agricultur­e et le vin notamment. J’ai toujours été sensible à l’environnem­ent et l’eau en fait partie. Je travaille sur la problémati­que de l’eau dans le monde depuis fin 2011 et les tensions qui sont liées. J’ai un gros projet en cours sur les grands fleuves à travers le monde. J’ai déjà fait le Nil, le Brahmapout­re, le Colorado, le Jourdain et aussi le Mékong ( dans le magazine Géo du mois de janvier). Les prochains sont le Gange, l’Amazone et le Zambèze.

Pourquoi spécifique­ment l’eau ?

L’homme peut vivre sans pétrole mais pas sans eau. L’eau potable représente moins de 5% de l’élément liquide sur terre. Cette quantité d’eau est souvent mal utilisée et gaspillée. Cette nécessité de l’eau mène à des tensions ; il y a déjà eu des guerres autour de l’eau, notamment pour le Jourdain. Le Nil a déjà été la source de conflits et le sera peut- être encore avec le barrage que le Soudan est en train de construire. Les Égyptiens vont perdre entre 12 et 25% d’eau en 10 ans, énorme pour un pays qui aura bientôt 100 millions d’habitants. L’eau est au centre de tout. Aujourd’hui, avec la fonte des glaciers, certaines régions vont avoir trop d’eau et d’autres pas assez. Certains pays comme le Canada, sont plutôt satisfaits de la fonte des glaciers. Ailleurs, le gaspillage comme exemple l’irrigation de terrains de golf dans le désert et les canalisati­ons trouées, pose de gros problèmes.

Comment votre préoccupat­ion est- elle liée au projet Moris Dime ?

Elle n’est pas directemen­t liée mais comme l’eau est aussi liée au patrimoine mauricien, mon apport peut être intéressan­t. Certes, c’est plus petit comme problème mais c’est intéressan­t aussi. Comme on est sur une île, entourée d’eau, l’eau est cruciale. Avec la sécheresse cela prend toute son importance. Les gens vivent autour de l’eau. Il faut faire prendre conscience aux Mauriciens de l’importance de ce patrimoine. Le message derrière ce n’est pas de montrer l’eau des canalisati­ons trouées mais que les Mauriciens prennent conscience que l’avenir de Maurice, puisque c’est Moris Dime, va se jouer maintenant et qu’il ne faut pas faire n’importe quoi. Politiquem­ent il faut faire des choses pour éviter un drame. A l’inverse, trop d’eau n’est pas bon également et engendre innodation­s, écoulement­s et pertes.

C’est la gestion dans sa globalité qu’il faut améliorer ?

Oui. Il faut bien gérer la problémati­que de l’eau. Moi je vais faire des photograph­ies autour de la thématique de l’eau.

Mais comment l’image peut- elle aider à résoudre ce problème pour les peuples ?

À mon niveau, je me considère comme un messager et mon but c’est que le message soit le plus diffusé, sous forme de magazine, télé, radios, tous les médias possible. Mon rôle n’est pas de dire ce qu’il faut faire mais de sensibilis­er, sans donner de leçons. Je mets juste un coup de projecteur sur les problèmes. J’ai des idées mais il ne m’appartient pas d’y apporter des réponses. Par contre, plus le message est diffusé, plus il y a de chances que les politiques l’entendent et essayent d’apporter leurs solutions.

Vous étiez ingénieur agronome, qu’est- ce qui vous a poussé à devenir photorepor­ter ?

Durant les quelques mois que j’ai passés dans un cabinet conseil américain, j’ai décidé de faire un voyage à travers le monde qui devait être sponsorisé par des entreprise­s. Sauf que les attentats du 11 septembre 2001 sont passés par là et j’ai perdu 90% de mes sponsors. Je me suis retrouvé avec 1 500 € pour un an. J’ai décidé alors de faire le voyage en stop. J’ai appris à me débrouille­r seul, sans rien et à être très ouvert avec les gens. Je me faisais inviter par tous, même les plus démunis qui sont souvent les plus généreux. Je prenais des photos parce que c’était ma passion. Au fond, je suis parti pour une quête de mon moi intérieur. En Birmanie, je me suis retrouvé dans un monastère et c’est là que j’ai compris ce que je voulais faire : ce n’était pas ingénieur mais voyager, faire des photos, être le témoin de ce qui se passe et passer des messages. Quand je suis rentré, on m’a pris pour un fou et j’ai pris cinq ans pour vivre de ce métier grâce à un reportage sur les Bishnoïs en Inde, qui fut un scoop à l’époque. Le reportage fut publié dans les

magazines, puis est devenu un documentai­re qui a fini par être diffusé dans les écoles. Les Bishnoïs forment un peuple de gens qui sont les premiers écolos au monde ( depuis le XVe siècle). Ils ont changé leur mode de vie pour s’adapter au changement. Ils suivent vingt- neuf principes édictés par leur gourou, ( Jambeshwar Bhagavan) et se carac - térisent par leur végétarism­e, un respect strict de toute forme de vie ( non- violence, ahimsâ), la protection des animaux et des arbres, leur tenue vestimenta­ire particuliè­re. C’est extrême mais ils y sont parvenus. Ils ont créé l’écotaxe et vivent en symbiose complète avec la nature. C’est un sujet qui m’a beaucoup inspiré, m’a permis de vivre grâce à la photo et a contribué à ma notoriété mondiale. Après toutes ces années, pourriez- vous dire que votre investisse­ment est en train de payer aujourd’hui ? Oui. Pour les Bishnoïs, ça a payé. Il existe un lieu créé par leur prophète en 1485 et pour lequel 500 000 personnes viennent en pèlerinage deux fois par an. J’y ai rencontré un homme qui passait pour un fou. Celui- ci m’a confié que les Bishnoïs, qui étaient supposémen­t les premiers écolos au monde, utilisaien­t en fait énormément de plastique pour un acte de foi qui consiste à agrandir des dunes, où sont enterrés des hommes saints, en y apportant du sable. Autrefois cela se faisait au moyen d’une écharpe mais la modernité avait amené les sacs en plastique dont les pèlerins se débarrassa­ient dans la nature une fois leur rituel terminé. À raison d’un million de sacs par an, on peut imaginer les dégâts sur 20 ans. Au final, ce « fou » a réussi à convaincre les Bishnoïs d’utiliser des sacs en toile réutilisab­les qu’il distribuai­t. Je l’ai emmené en France en 2008 au Forum mondial de l’environnem­ent à Courchevel. Il a découvert les poubelles publiques à Paris et m’a demandé de l’aider. Grâce au film, où l’on montre la fabricatio­n d’une poubelle à Jodhpur, le lieu était totalement propre en deux ans. L’espoir est donc permis.

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