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- Nathacha Appanah : J’ai une curiosité naturelle pour l’humanité

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Elle aura marqué la rentrée littéraire 2016 en France avec Tropique de la Violence. Retenue pour la première sélection du prix Goncourt, mais aussi du Fémina et du Médicis, elle sera finalement lauréate du prix Fémina des Lycéens et gagnera une dizaine d’autres récompense­s. Nathacha Devi Pathareddy Appanah est aujourd’hui une figure incontourn­able de la littératur­e francophon­e donnant à l’île Maurice une notoriété audelà de ses atouts touristiqu­es et de sa réussite économique qu’avaient déjà tracée avant elle, Marie Thérèse- Humbert et Ananda Devi Anenden. Symbole de ce dynamisme littéraire qui anime l’île Maurice depuis quelques décennies, Nathacha Appanah se dévoile à Côte Nord le temps de ses retrouvail­les avec sa terre natale. Dans le bureau de l’Institut Français de Maurice ( IFM), où elle nous reçoit, Nathacha ressemble à ces étudiantes qui viennent y travailler. Elle nous accueille avec ce léger sourire qu’esquissent des lèvres qui habillent un visage sans fard. Et si on pouvait appréhende­r la rencontre avec cet écrivain au talent inversemen­t proportion­nel à sa petite taille, sa simplicité et son humilité ont vite fait de nous rassurer. Le succès n’a pas changé cette ancienne collègue, puisqu’elle a débuté comme journalist­e et continue aujourd’hui d’assurer une

chronique pour La Croix et Libération. Avec sa voix posée, ses yeux interrogat­eurs, elle nous remonte le temps jusqu’à ses premiers émois pour les livres. La rencontre de Nathacha avec les livres et l’évasion par la littératur­e est venue par hasard, grâce à sa curiosité d’enfant prête à franchir les interdits. Car Nathacha ne vient pas, comme on pourrait le croire, d’une famille portée vers la littératur­e. Même si sa mère est enseignant­e, les livres présents dans la maison étaient surtout

d’ordre scolaire. « Il y a une ambition de bien travailler à l’école ; l’instructio­n est là mais pas la littératur­e. Mes parents nous ont guidés vers les sciences plutôt car plus demandées pour le monde

du travail » , avoue- t- elle. La famille de Nathacha vivait à Piton dans la grande maison de ses grands- parents. Or, son oncle paternel parti étudier à la Sorbonne, avait laissé dans sa chambre bien rangée et où personne ne devait entrer, un carton de livres. La petite Nathacha, alors à peine cinq ans, pousse un jour la porte de cette chambre et finit par ouvrir ce carton contenant des livres comme Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevent, les oeuvres complètes de Shakespear­e, du Henri Bosco, « du bon

classique quoi… » Elle en restera marquée pour la vie. Quand elle fut en âge de lire, sa première émotion fut la Comtesse de Ségur puis Jane Eyre. Nathacha aimait aussi écouter les histoires que racontaien­t sa mère et surtout sa grand- mère qui disait « des histoires de la vie dans les champs » . « Les grands- parents avaient l’air tellement « anciens » mais pas « vieux » , et on s’entendait

tellement bien en dépit de nos différence­s » . La petite Nathacha prend déjà conscience de la fuite du temps ; que le monde de ses grands- parents n’existait plus. Et pourtant, elle aimait ce temps de la grand- mère.

Hommage aux immigrés indiens

La littératur­e lui offre la possibilit­é de se reconnecte­r avec cette époque, sans fausse nostalgie, mais aussi de répondre à ses interrogat­ions sur le monde. Son rapport aux livres, aux mots, va prendre une tournure encore plus marquante quand elle croise Nita Rughoonund­un, une enseignant­e de français, en Forme III au collège Maurice Curé. « Aujourd’hui encore, je peux m’arrêter toute une journée sur un mot » . Tout naturellem­ent, comme beaucoup de jeunes et de filles en particulie­r, elle commence à écrire mais pour raconter les histoires des autres. « J’ai dû commencer par écrire sur

moi, mais j’ai trouvé cela inintéress­ant » A 17 ans, son talent est remarqué quand elle remporte une première récompense, le prix Selmour Ahnee de la Chronique, organisé par le quotidien l’express. Nathacha va ensuite entreprend­re des études de lettres, qu’elle abandonne pour travailler à Week- end Scope

Magazine. Elle obtiendra très vite une bourse du Media Trust et s’envole pour le Centre de Formation des Journalist­es ( CFJ) à Paris pour trois mois. Obtenant un travail après les cours, et finalement,

Une passion pour la poésie

De ce premier roman écrit à l’âge de 28 ans, elle en fera dix manuscrits qu’elle enverra par la poste à dix éditeurs. C’est Gallimard qui la contacte en premier et lui donne son premier bonheur d’être publiée. Le livre remporte le prix RFO 2003 et ouvre la voie à sept autres livres et surtout une dizaine de récompense­s. Un succès qui n’a nullement changé sa vie. Elle continue son travail de journalist­e, certes à un rythme moins soutenu, et s’occupe de sa fille de huit ans. Et quand naît un projet de livre, elle s’y attelle du matin au soir. Qu’est- ce qui déclenche chez elle le besoin d’écrire ? « Le roman naît d’interrogat­ions personnell­es, une sorte de curiosité naturelle pour l’humanité. J’ai une ambition littéraire parfois sur la forme

( visible dans le 3e et le 5e roman), ensuite c’est souvent des idées de langage, de musique dans les mots. J’ai une passion pour la poésie. Je pense que c’est ce que la langue a comme essence la plus pure » . Nathacha est obnubilée par le besoin de la perfection. « J’accepte de bonne grâce les conseils de réécriture, surtout au début, car je veux que le roman soit au plus près de la perfection » . Elle remet sans cesse son ouvrage sur le métier et ne veut pas tomber dans la facilité, « sinon c’est la domination du synonyme » . « Je commence par écrire des phrases longues, puis à essayer de les ramasser pour apporter plus de précisions » . Si elle a été heureuse d’être nommée pour les prix prestigieu­x comme le Goncourt, Le Fémina, le Médicis, elle aura surtout vécu cela comme une reconnaiss­ance de ses pairs, comme une étape franchie. « Ma plus grande satisfacti­on c’est quand un lecteur anonyme que l’on rencontre dans une médiathèqu­e, une librairie dans un village perdu, vient me dire que « cette histoire- là m’a touché profondéme­nt, que même le plus horrible de vos personnage­s, je n’arrive pas à le détester » . Ultime témoignage de sa grandeur et de son humilité. n’ayant pas d’attaches, Nathacha décide de rester en France. Une décision qui va sans doute changer le cours de sa vie. En France, elle a l’occasion de rencontrer et d’écouter des écrivains comme Dai Sijie et François Cheng, installés depuis longtemps. C’est aussi sur le sol français, dans cet exil voulu, qu’elle accouche de son premier roman, Les rochers de Poudre d’Or. Un livre qui parle de l’engagisme à Maurice, « une période qui semble inconnue

en France » .

« Souvent on me posait la question : d’où viens- tu. Trouvant que cela relevait de l’intime, je répondais de Lyon, du quartier de La Croix Rousse. Des gens étaient étonnés que je vienne de l’île Maurice. Beaucoup de Français pensent que les habitants de ce pays sont d’origine africaine. Pour eux, il semble que l’histoire de Maurice s’arrête à la colonisati­on française » . Ce besoin d’écrire sur l’histoire des immigrés indiens répond aussi à une sorte d’hommage à son pays et à ses grands- parents. « Au début, j’avais ce besoin de révéler une part de moi- même, cette part de mauriciann­isme, de descendant d’immigrés indiens. Aujourd’hui, mon écriture a évolué et je ne ressens plus cela » . Elle affirme que son attachemen­t pour l’île Maurice se voit dans la présence de la nature dans son oeuvre. « Mon attention et ma sensibilit­é à la nature, me poussent à donner vie à des choses inanimées, ou qui ne sont plus là. Je ne suis pas dans la nostalgie de Maurice » .

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