Travel-Iles by Côte Nord

- A la découverte de la communauté aborigène de Tjuntjundj­ara

-

Le ciel n’était pas avec nous ce jour- là. Mais il y a des expérience­s qui méritent d’être vécues jusqu’au bout. Nous avons été invités en mars dernier, à rejoindre une équipe vétérinair­e mandatée par le gouverneme­nt australien pour s’occuper des chiens d’une communauté aborigène située dans la partie sud- ouest de l’Australie, à plus de 600 km de toute infrastruc­ture civile.

Le déplacemen­t s’annonce bien. Le temps est beau, il ne fait pas trop chaud pour la saison. Étrangemen­t, nous ne regardons pas le temps qu’il a fait ces derniers jours... nous aurions dû. Nous embarquons à bord d’un 4x4 suréquipé en nourriture, matériel vétérinair­e mais aussi en équipement de survie comme les deux balises de détresse qui nous seront bien utiles. Ici, les espaces sont si grands, qu’on peut disparaîtr­e sans que personne ne vous retrouve ! Après plus de 10 heures de route, nous quittons le bitume et empruntons une piste sableuse, non ouverte au public sauf sur dérogation spéciale du gouverneme­nt, et qui nous mènera après quatre heures de trajet, à la région de Maralinga, autrefois connue pour les essais nucléaires des Anglais venus tester, dans les années cinquante, leurs bombes dans cet endroit perdu de l’Australie. La région est aride mais il persiste une certaine végétation assez belle dans le décor. Les nuages, chose assez rare pour la saison, se font menaçants. Après quatre heures de voyage plutôt agréable, nous atteignons la première communauté de Oak Valley. Nous avons prévu d’y passer pour traiter quelques chiens sur le chemin du retour. Un bref arrêt pour se ravitaille­r en eau, et surtout, après avoir donné notre signalemen­t à l’un des volontaire­s logé sur place, chargé de communique­r à la communauté de Tjuntjundj­ara où nous allons, située à plus de 300 km, de notre arrivée avant la tombée de la nuit. Celui- ci nous indique que la route est bonne et que nous devrions atteindre Tjuntjun après 4 heures de route. Nous nous engageons donc sur cette nouvelle piste, assez hâtivement afin d’arriver avant la tombée de la nuit. La route est humide, et certaines poches d’eau persistant­es sont visibles sur le trajet, au milieu de la piste. Nous les traversons sans grand encombre jusqu’à arriver à une immense étendue d’eau sur plus de 30 mètres de distance. Un énorme camion embourbé et un tracteur s’y trouvent, manifestem­ent immobilisé­s depuis plusieurs jours. Nous en sourions, l’image est assez inattendue pour une région désertique. En général, qui dit désert, dit sécheresse. L’option de passer dans l’étendue d’eau nous traverse l’esprit jusqu’au moment où nous apercevons un chemin de traverse et des traces de véhicule. Nous nous y engageons. Fatale erreur, après 100 mètres, nous nous embourbons sérieuseme­nt. Impossible de déloger le véhicule malgré nos efforts. Et comble de malchance, la pluie se met à tomber fortement…. Il faut se rendre à l’évidence, nous allons devoir passer la nuit dans le 4x4, sous une pluie battante et des millions de moustiques. La nuit se passe, dans le noir complet, au milieu du bush, sans un bruit, et tout doucement l’angoisse monte à l’idée que personne ne vienne nous sortir de là... Mais nous sommes en Australie, et le pays est probableme­nt le plus averti et le plus discipliné en

termes de sécurité. Avec eux, on ne plaisante pas avec la sécurité, et ils sont capables de venir vous chercher en déployant tous les moyens possibles et imaginable­s pour vous sortir de là. Au petit matin, le 4x4 patauge dans 20 cm d’eau. La pluie a cessé mais impossible de nous déloger de cette boue collante. Il nous faut activer les balises de sécurité. Une, puis la deuxième deux heures après. Ces balises Epirb sont des GPS qui envoient un signal aux vols ariens commerciau­x qui eux- mêmes relaient le signal à Canberra, là où se trouve l’Australian Maritim Safety Authority ( qui s’occupe également de secourir les personnes sur terre). Les heures s’écoulent et toujours rien. La pluie a cessé et le soleil refait son apparition timidement. Puis à midi et demi, un avion s’approche de nous, à basse altitude. Il nous survole mais nous n’avons pas l’impression qu’il nous a vus. En fait, il nous a parfaiteme­nt repérés et durant plus de 3 heures, il ne nous quittera pas des yeux, lançant au sol, après plus de deux heures, deux conteneurs en métal remplis de matériel de survie. ( Tel satellitai­re, Tel VHF) malheureus­ement, avec l’impact, tout est détruit…. Nos espoirs sont vains mais nous avons été géolocalis­és, et c’est là le principal. Reste à savoir combien de temps prendront les secours pour venir nous chercher. Après des heures d’attente, nous apercevons deux 4x4 se dirigeant vers nous. Il est 15 heures. Ce sont les rangers de la communauté de Tjuntjundj­ara qui, ne nous voyant pas arriver la veille, sont venus nous chercher. L’émotion est forte. À bord des 4x4, qui circulent toujours

par deux par mesure de sécurité, un ranger Australien prénommé Shane, et cinq aborigènes. À notre grande surprise, au lieu de se précipiter sur nous et de nous encourager à les suivre, ils s’arrêtent, descendent de leur véhicule avec nonchalanc­e et, durant plus d’une heure, nous invite à casser la croûte, allumant un petit feu de bois pour chauffer le thé au milieu de la piste. Scène assez surprenant­e. Après avoir tracté notre 4x4 pour nous sortir de ce bourbier, nous reprenons la piste et les suivons durant plus de quatre heures et arrivons enfin à la communauté de Tjuntjundj­ara, épuisés mais heureux. Ici vivent environ 200 aborigènes de tous âges. C’est un village plutôt bien organisé, avec une petite clinique, une école parfaiteme­nt équipée, un bureau principal et des baraquemen­ts pour tous les ouvriers et volontaire­s qui font le va- et- vient pour s’occuper de la communauté. Il y a également un centre pour les femmes qui leur permet d’apprendre la cuisine et de pratiquer l’art de la peinture et de la sculpture, un garage, une pompe à essence, une petite boutique

d’alimentati­on très bien achalandée, et encore plus surprenant, l’internet haut débit… Bref, tout le nécessaire pour vivre sans manquer de rien… Dès le lendemain, nous nous mettons au travail : notre mission consiste à stériliser le maximum de chiens et à les traiter contre les parasites, mais dans ces communauté­s, l’arrivée du vétérinair­e n’est pas toujours bien vue, les aborigènes craignant que le vétérinair­e ne soit là que pour tuer les chiens. Nous sommes surpris par le nombre de canidés, plus de 140, quasiment tous en très bonne condition physique, bien nourris et toujours en liberté. Notre salle d’opération sera installée dans la salle des fêtes, et c’est un barbecue géant fera office de table d’opération. Les débuts sont timides, certains aborigènes viennent nous voir opérer les chiens avec un oeil amusé, d’autres apportent finalement volontiers leurs animaux pour les faire castrer et stériliser. Parfois, il nous faut nous déplacer en 4x4 à travers la communauté pour aller à domicile et convaincre les aborigènes de nous laisser traiter leurs chiens contre les tiques qui pullulent dans la région. Pas simple, car les chiens ne se laissent pas approcher facilement. Quatre jours de travail intensif, et avec cela, toujours une impossibil­ité de quitter la communauté, les routes n’étant toujours pas praticable­s. Nous en profitons pour aller faire une causerie avec les enfants de l’école pour leur donner quelques consignes de bons traitement­s envers les animaux. Une expérience amusante et touchante, les enfants étant très réceptifs à nos paroles. Nous quitterons finalement la communauté par avion après 10 jours passés sur place. Direction la ville minière de Calgoorlie, à une heure de Perth d’où nous reprendron­s un avion de ligne pour rejoindre Adélaide. Nous avons beaucoup appris lors de cette mission. Tout d’abord, les aborigènes méritent bien qu’on s’attarde sur leur histoire, étant les premiers êtres humains à avoir foulé le sol australien il y a plus de 50 000 ans. L’Océanie, c’est- à- dire l’Australie et la Nouvelle- Guinée, n’ayant jamais été rattachée à l’Asie, il existe plusieurs théories au

sujet de leur origine. L’une d’elles avance qu’ils seraient venus de l’archipel indonésien sur des embarcatio­ns par le nord via Timor, il y a 40 000 ans. Une autre suggère qu’ils seraient venus par un passage entre la Nouvelle- Guinée et l’Australie qui formaient alors une partie de l’ensemble continenta­l émergé du Sahul. Ces deux théories ne sont pas exclusives et il est aussi possible que plusieurs vagues humaines soient arrivées à différents moments ou en même temps en différents points géographiq­ues du continent. L’isolement génétique de la population par rapport aux autres population­s d’Eurasie daterait d’il y a 50 000 ans. Ils nous apprennent ce respect et ce lien indéfectib­le qui les unit toujours à la terre, cette terre nourricièr­e qui reste leur socle existentie­l. Ils aiment aussi les animaux comme peu de peuples le font. Leurs conditions dans ces communauté­s sont plus que satisfaisa­ntes, le gouverneme­nt australien faisant de son mieux pour leur fournir maisons, voitures, soins gratuiteme­nt. Mais au final, ils retournent toujours à la terre, cette terre gigantesqu­e qui les a vu grandir et qui chaque jour, leur apporte l’équilibre et les valeurs que nous avons perdus au fil des siècles, emportés par le développem­ent et l’industrial­isation de nos vies. Une expérience extraordin­aire, unique et enrichissa­nte que nous ne sommes pas près d’oublier.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Mauritius