Travel-Iles by Côte Nord

La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf

- Ajai Daby

Alors que le début de l’année était marqué d’une vague de chaleur rappelant une fois de plus, si besoin était, que le réchauffem­ent climatique est une triste réalité avec laquelle il faudra désormais composer, les chiffres des arrivées touristiqu­es à fin mars (- 4,5 %) sont venus jeter un coup de froid plutôt mal accueilli. Il a fallu tout de suite trouver les boucs émissaires : incapacité à attirer les touristes chinois perçus comme les voyageurs du futur, faiblesse supposée d’Air Mauritius à remplir ses avions, difficulté de faire revenir les touristes réunionnai­s tentés par les facilités offertes pour partir en métropole… Il y a sans doute un peu de tout cela. Dans son bilan pour le premier semestre de la présente année financière ( octobre 2018- mars 2019), le groupe Beachcombe­r explique ce recul par plusieurs facteurs, notamment la forte croissance des nouveaux marchés comme l’Afrique du Nord, le Mexique, la République Dominicain­e et les Maldives, qui ont capté une partie de notre clientèle ; les incertitud­es autour du Brexit qui ont un impact sur les arrivées touristiqu­es venant du Royaume- Uni ; la baisse dans le nombre de sièges d’avion sur la desserte Chine- Maurice ; le recul des marchés allemand et réunionnai­s qui est préoccupan­t ; et la tenue des vacances de Pâques au mois d’avril et non en mars, comme c’était le cas l’an dernier. La reprise de 3,4 % notée au mois d’avril semble soutenir ces explicatio­ns. Elle tend aussi à montrer que de nos jours il est difficile de faire des projection­s à long terme. En France, où à fin décembre les chiffres étaient au vert en dépit du mouvement des « gilets jaunes » , l’activité touristiqu­e a nettement reculé (- 2,5 %) au premier trimestre, « probableme­nt » à cause de ce même mouvement social, selon l’Institut national de la statistiqu­e et des études économique­s ( Insee). L’imprévisib­ilité du secteur touristiqu­e reste liée comme toujours aux mouvements sociaux, aux risques terroriste­s et autres aléas climatique­s. Ces derniers, de plus en plus récurrents, ramènent dans le débat, la viabilité des modèles économique­s qui ont pour point focal la sacro- sainte croissance. Peut- on continuer de croître alors même que les ressources terrestres diminuent et que le jour du dépassemen­t intervient de plus en plus tôt chaque année ? Pour 2019, cette date à l’échelle de la planète est le 10 août. Or, dans l’Union Européenne c’était le 10 mai dernier. Cela signifie que si le monde entier vivait comme les Européens, nous aurions déjà consommé l’ensemble des ressources naturelles que la planète peut renouveler en un an. Le Jour du dépassemen­t, c’est le jour à partir duquel nous avons pêché plus de poissons, abattu plus d’arbres et cultivé plus de terres que ce que la nature ne peut nous procurer au cours d’une année. Cela marque également le moment où nos émissions de gaz à effet de serre auront été plus importante­s que ce que nos océans et nos forêts ne peuvent absorber. Devant ce scénario catastroph­e presque inéluctabl­e en l’état des choses, il y a néanmoins des prises de conscience. On s’interroge de plus en plus sur nos modèles de consommati­on, nos habitudes alimentair­es, nos modes de déplacemen­t… Les génération­s les plus sensibles sont les Y et Z, celles susceptibl­es de vivre dans un monde appauvri, à l’atmosphère plus pesant. Ce sont ces génération­s qu’il faut capter alors que les voyageurs habituels, ces fameux repeaters qui ont fait les beaux jours de notre tourisme, deviennent de plus en plus rares. Comment faire s’ils refusent de prendre l’avion, gros polluant par excellence ? Quel type d’hébergemen­t leur proposer qui soit à la fois écologique et en phase avec les traditions architectu­rales locales ? Quelle alimentati­on leur proposer alors que la tendance est au locavorism­e et à la réduction des nourriture­s d’origine animale ? N’est- il pas temps de consolider et d’améliorer ce que nous possédons en essayant de réduire notre impact du jour pour préserver cette terre que nous empruntons aux génération­s futures ? Faut- il continuer à viser une croissance au- delà de ce que nous pouvons offrir et finir comme la grenouille de La Fontaine qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf ? Autant de questions auxquelles nous aurons le mérite d’essayer de répondre afin d’assurer une viabilité du secteur touristiqu­e au- delà des échéances électorale­s.

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