Les sociétés de l'océan Indien vues par les artistes
Pendant quinze jours, du 12 au 27 avril derniers, l'emblématique Granary Building de Port- Louis s'est transformé en musée d'art éphémère, et a abrité BORDERLINE[ S] - deuxième édition d'une exposition d'art, lancée en mars 2016 par la plateforme culturelle et artistique THE THIRD DOT. Trente artistes de la région y ont présenté leurs visions des sociétés des pays riverains de l'océan Indien.
Le choix du Grenier pour cette exposition n’était pas anodin. Lieu chargé d’histoire, on y respire encore la sueur de ces centaines d’ouvriers qui, par leur labeur, ont permis de nourrir la population pendant des décennies. D’où le choix d’utiliser « cet habitacle pour ce que nous avons à transmettre et à partager, nous les contemporains » , explique Alicia Maurel, commissaire d’exposition, cofondatrice THE THIRD DOT et organisatrice du projet BORDERLINE[ S]. Près d’une centaine d’oeuvres de ces trente artistes au travers de neuf médias, dont la peinture, la photographie, la sculpture, la performance artistique ou encore la vidéo, nous permettent d’appréhender des histoires communes et singulières qui dénoncent le passé, blâment l’actualité, célèbrent la créolité et les joyeux assemblages. Interprétations, révoltes, célébrations et mises en lumière, les artistes nous ont permis, le temps de cette exposition, de nous interroger sur le devenir de notre région. BORDERLINE[ S] met au coeur de la discussion, le contexte dans lequel les artistes de l’océan Indien et ceux des côtes qui le bordent, produisent et vivent leur art contemporain. Nombre de changements majeurs affectent le monde de l’art depuis plusieurs décennies. Les sociétés d’Afrique et d’Asie sont bousculées par des changements rapides ( déplacements, migrations, développements économiques, épidémies, changements climatiques, reconfigurations politiques, explosion démographique, ou encore urbanisation) qui se produisent au- delà du passé colonial qui a régné sur ces régions et qui déclenchent, dans le milieu créatif, de plus en plus de pratiques novatrices et interrogatrices.
L’énergie créative est partout et redonne vie aux murs et colonnes du Grenier : un support en « goni » inscrit de colle vinylique dont la lecture se révèle à la lumière fluorescente, une sculpture lumineuse en néon, des photographies autobiographiques avec l’insertion des symboles numériques, des peintures figuratives devenues des oeuvres abstraites digitales, une vidéo en accéléré restituant des productions successives de collages manuels, des broderies contemporaines, des installations dépouillées révélatrices de faits quotidiens parfois violents, des toiles chatoyantes qui prennent pour cadre le mur dépouillé sont autant d’oeuvres qui démontrent que l’art n’a pas de frontières et se veut le miroir d’une société en mutation perpétuelle. « Lorsque l’hybridité s’articule, elle offre le potentiel de vivre et d’évoluer dans l’entre- deux, dans une existence sur la ligne, et de surcroît, comme l’explique Edward Said dans Orientalisme, dans l’espace où les dialogues enrichissent et où les unions dessinent les nouvelles sphères dans lesquelles nous souhaitons vivre, aujourd’hui et pour les prochaines générations. Cet océan, fait de ses multiples cultures, est donc bel et bien un site qui offre une recherche continue, entre l’héritage du passé, la force créative du présent et l’espoir des futurs que l’on choisit maintenant » , déclare Alicia Maurel. BORDERLINE[ S] est la revendication d’un art contemporain émergeant et identitaire, fondée sur les appartenances multiples et dévoilant les enjeux politiques, ethniques et esthétiques.