Un award pour l’artiste à l’antenne greffée sur la tête
Kawther al Abood a invité un artiste à qui a été greffée une sonde sur la boîte crânienne pour distinguer les couleurs. Elle franchit un pas de plus pour encourager la fusion de l’art et la science
C’était il y a cinq ans. Le compositeur américain Tod Machover présentait son opéra high-tech Death
and the Powers à la salle Garnier, grâce au soutien de la présidente de la toute nouvelle association Futurum. Aujourd’hui, Kawther al Abood poursuit l’objectif qui est le sien de promouvoir l’art et la science comme une seule matière culturelle. Et c’est avec le premier artiste cyborg Neil Harbisson que le pas vient d’être franchi. Mardi dernier au Fairmont, le Britannique, qui réside en Espagne, a reçu le Futurum award des mains du souverain Albert II. Le lendemain, il était l’invité du Monaco press club, au Yacht-club, pour expliquer sa démarche avec la greffe d’une sonde d’une vingtaine de centimètres au-dessus du crâne destinée à lui transmettre en fréquences sonores les couleurs qu’il ne voit pas en raison de son achromatopsie depuis la naissance… Non, ce n’est pas une plaisanterie. Explications de Kawther al Abood.
Comment avez-vous rencontré Neil Harbisson?
Cette rencontre est un hasard. Je regardais Arte, un soir, très tard, à Monaco. Et j’ai découvert cet artiste de ans. Puis, en voyageant vers Londres, j’ai ouvert un journal qui évoquait sa transformation. Le comité (1) de l’association et moi-même avons donc décidé de l’inviter en juin dernier, à l’occasion de la projection, au théâtre Princesse-Grace, de l’opéra de Tod Machover que nous avions présenté, en première mondiale, en .
Que pensez-vous de sa transformation physique ?
C’est un personnage très intéressant et très courageux. Sa démarche est encore expérimentale. Il transforme les couleurs en sons, mais également les sons en couleurs. C’est ainsi qu’il a réalisé un tableau de l’hymne national monégasque dans des tonalités très chaudes. Pour lui, d’ailleurs, et alors qu’il « voit » d’autres villes très sombres, Monaco est à dominante saumon et orange.
Comme votre salon!
Il est fasciné par mon intérieur. Et moi, comme Neil, je suis amoureuse de Monaco depuis trente-cinq ans. Peutêtre en raison de ses couleurs gaies et chatoyantes…
Neil Harbisson a également fait, devant vos invités, au Fairmont, le portrait sonore du prince Albert II…
L’artiste a une manière de voir les personnes très différemment de nous. Par exemple, il m’a expliqué que chacun de nos deux yeux est différent. De même, il a une perception unique de jumeaux monozygotes.
Soutenez-vous d’autres artistes?
Notre invité d’honneur, la semaine dernière, était Bill Viola qui réalise des installations vidéos reconnues dans le monde entier. Son travail est fascinant. Et il veut faire une expo à Monaco. Sans doute Futurum organisera une soirée pour lui. Nous suivons le parcours de tous ces artistes qui croisent notre chemin. Sans nécessairement soutenir leurs projets. Neil Harbisson est totalement détaché de l’aspect financier. Ce qui l’intéresse, c’est trouver de nouvelles expériences. Mais Futurum s’apprête à faire un don pour la fondation de Neil qui encourage les artistes ou les personnes atteintes de pathologies à
devenir cyborgs.
Seriez-vous prête à devenir, vous-même, une femme cyborg?
Si j’avais ans de moins, peut-être…
Et si votre fils le devenait?
Avec mon fils, je n’ai pas le choix, c’est lui qui décide.
Comment serait, pour vous, le monde idéal ?
Plus on s’occupe d’art, de beauté et de musique, moins on pense à faire du mal. Le monde a besoin de cela aujourd’hui. Je rêve d’un monde avec beaucoup de nature, de vert, de musique, de couleurs. Avec moins de possession également…
PROPOS RECUEILLIS PAR JOELLE DEVIRAS
(1) Le conseil d’administration de l’association Futurum est composé de Régis Bergonzi, viceprésident, Lars H. Ericson, secrétaire général, et Mahmoud al Abood, trésorier.