Monaco-Matin

«Jeluidois la vie»

Gaetano,  ans, a perdu une jambe le  juillet, mais a survécu grâce au garrot salvateur réalisé par un inconnu. Il espère le retrouver pour le remercier.

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

J’aimerais connaître cette personne pour la remercier de tout mon coeur. Parce que sans son aide, je ne serais probableme­nt plus là aujourd’hui pour vous écrire... » Gaetano nous a adressé cet e-mail dans un français très correct avanthier. Son style est aussi sobre que bouleversa­nt. Sa démarche, aussi noble que reconnaiss­ante. Cet Italien de 71 ans a été grièvement blessé, le 14 juillet à Nice, sur la promenade des Anglais. Ce jourlà, il a perdu une jambe, la gauche. Mais il a sauvé l’essentiel : sa vie. Alors, depuis son lit d’hôpital, il fait appel à Nice-Matin pour tenter de retrouver cet inconnu auquel il doit tant. « J’aimerais lui dire merci et pouvoir lui serrer la main. » Allongé sur son lit d’hôpital, soutenu par sa femme Anna et par l’interne psychiatre qui le suit, Gaetano raconte sobrement, posément comment sa vie a basculé il y a un peu plus d’un mois à Nice. Une ville qu’il connaît bien : « Cela fait dixhuit ans que nous venons en vacances ici. Nous avons un petit studio à Magnan, près de la fac de lettres. »

« Je l’ai vu arriver au loin »

Gaetano réside à Chiaverano, village de deux mille âmes proche de Turin, avec son épouse Anna. Le 13 juillet, il se rend à Nice pour rejoindre sa fille, qui vit aux Etats-Unis et vient passer ses vacances ici. «Je suis allé l’accueillir à l’aéroport pour qu’on passe quelques jours ensemble ici. Mon épouse n’a pas pu m’accompagne­r car elle veillait sa soeur mourante. Elle est morte d’une tumeur le lendemain de l’attentat. » A cette épreuve que traversait sa famille depuis plusieurs mois, allait s’en ajouter une autre, impensable. Le soir du 14 juillet, Gaetano va assister au feu d’artifice avec sa fille, sa petite-fille âgée de 18 ans et son petit-fils, 12 ans, ainsi que des amis. Ils arpentent la plage jusqu’au palais de la Méditerran­ée. Puis font demi-tour en direction de Magnan. Il est 22 h 33. L’instant où les souvenirs s’effacent pour de nombreuses victimes. Gaetano, lui, se « souvient de tout ». Il se souvient du camion entraperçu au loin, alors que le retraité se trouve à environ deux cents mètres du poste de secours de Magnan. « Quand je l’ai vu arriver sur le trottoir, j’ai pensé : “Le chauffeur a trop bu ou quoi ?” Puis il est arrivé sur nous très vite. J’ai juste eu le temps de pousser mes petits-enfants vers la chaussée, puisque le camion roulait sur le trottoir. Et moi, j’ai essayé de m’enfuir de l’autre côté, vers la plage. Mais je n’ai pas réussi à fuir à temps... » Gaetano raconte en s’aidant de ses mains, si éloquentes. L’une porte un bracelet mentionnan­t son heure d’arrivée : 15.07.2016 / 1 h 10. L’autre est soutenue par une attelle. Gaetano présente sa jambe droite, recouverte de pansements, qui a subi une greffe de la peau. Sa jambe gauche, elle, a été sectionnée par le 19-tonnes. L’amputation était inéluctabl­e. « J’espérais que l’on puisse encore faire un miracle. Hélas, le médecin m’a ôté tout espoir une fois à bord de l’ambulance. Il m’a annoncé d’emblée que l’on ne pourrait pas la sauver ».

L’homme à la ceinture

Avant cela, allongé sur le bitume, Gaetano se cramponne à la barrière blanche qui longe la Prom’, autant qu’à la vie. Autour de lui, des corps inertes, des blessés hurlant de douleur, appelant à l’aide. Luimême n’a plus que de vagues souvenirs. La suite, c’est son petit-fils qui la lui a racontée. « Il a vu un homme d’une cinquantai­ne d’années, qui parlait français, venir à moi (1). Cette personne a retiré la ceinture de son pantalon et serré fort autour de ma cuisse pour stopper l’hémorragie. Je pense que cela m’a sauvé la vie. Car un long moment s’est écoulé entre le choc et l’arrivée de l’ambulance. » Gaetano et Anna précisent aussitôt : en aucun cas ils n’entendent blâmer les secours. Bien au contraire. « Ils ont fait tout leur devoir. Il y avait des ambulances partout... Mais il y avait encore plus de blessés ! » Alertés par les gestes désespérés de sa fille et de ses petits-enfants, les secours évacuent Gaetano vers Pasteur 2. « Le matin suivant, je me suis réveillé sans ma jambe. Forcément, j’ai d’abord pensé à ça. Puis on m’a raconté tous ces gens décédés, blessés... Une amie qui marchait à mes côtés a été tuée, et ses parents ne l’ont retrouvée qu’au bout d’une semaine. Alors je me suis dit : “Au final, ils m’ont touché mais ma fille et mes petits-enfants sont sains et saufs. Par rapport à ceux qui sont morts, j’ai de la chance !” »

« J’ai foi en l’humanité »

Positiver. Relativise­r. Regarder devant. Garder foi en l’humanité. Gaetano y parvient, malgré ce drame qu’il n’aurait jamais imaginé. «La foi dans l’humanité, je l’ai. Même si une partie fait tout pour qu’on la perde. Ceux qui font cette guerre savent ce qu’ils font... Mais à côté de ça, nous avons trouvé tant de solidarité ! Tant d’amis qui appellent, qui viennent me voir, tant de marques de sympathie - même le consul est venu... Il faut garder foi en tous ces gens qui aident. » Hier après-midi, des amis sont ainsi venus de Turin le réconforte­r. Quelques jours plus tôt, l’un des fils de Gaetano lui a fait la surprise d’être là le jour de ses 40 ans. « Nous voudrions aussi remercier toutes les personnes qui ont récupéré les vêtements et les biens sur la Prom’, précise Anna. L’hôpital a tout récolté et permis à beaucoup de gens de retrouver leurs effets personnels. » Gaetano ne sortira sans doute pas de l’hôpital avant la mi-septembre. Il se prépare à recevoir la prothèse qui l’accompagne­ra désormais. En attendant, il a « une idée fixe. J’ai deux chiens, un petit et un grand, qui ne mange pas depuis un mois. Sans doute sent-il les choses... J’ai hâte de pouvoir l’embrasser. »

Par rapport à ceux qui sont morts, j’ai de la chance...”

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(Photos Jean-François Ottonello) Gaetano dans son lit d’hôpital, hier à l’hôpital Pasteur . Il porte au poignet droit le bracelet qui indique son arrivée, le  juillet à  h  du matin.

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