Monaco-Matin

Les malheurs d’une brune

- Par CLAUDE WEILL

A la machine à café… – Dis donc, tu as vu ce qui est arrivé à Kim Kardashian ? – Qui ça ? – Kim Kardashian ! – Ah ! la brune callipyge… – Elle s’est fait braquer ses bijoux dans une résidence de luxe, rue Tronchet, à Paris, par des voyous déguisés en flics. Il y en a pour  ou  millions d’euros. Rien que sa bague valait  millions. Un cadeau de son chéri, le rappeur Kanye West. – Et en quoi est-ce supposé m’intéresser ? – En rien. Toi et moi, on s’en fout éperdument. Tout le monde te dira qu’il s’en fout, d’ailleurs. Mais sur Twitter, l’événement a été commenté des dizaines et des dizaines de milliers de fois. Le martyre d’Alep, les primaires, le pape et la théorie du genre : enfoncés. Il n’y en avait que pour les bijoux de la Castafiore. Même les politiques s’y sont mis. Les gens de droite expliquent que sous Hollande, Paris est devenu un coupe-gorge. Hidalgo les accuse de nuire à la réputation de la capitale. Les hôteliers craignent que ça fasse fuir les touristes. L’Amérique nous montre du doigt. L’affaire est devenue planétaire. – Tout ça parce qu’une starlette s’est fait piquer une bague de parvenu ? – Pas une starlette : la femme la plus médiatisée au monde d’après Forbes. Une des cent personnali­tés les plus influentes de la planète selon Time Magazine. Quatreving­t-quatre millions d’abonnés sur Instagram. Vingt-huit millions d’amis sur Facebook. Plus de  millions de followers sur Twitter. The one and only KK ! – C’est-à-dire personne. Qu’est-ce qu’elle a fait cette fille pour être si connue, elle a découvert un vaccin contre le cancer ? Elle a libéré les otages de Boko Haram ? – Non. Elle est célèbre pour sa notoriété. – Comme d’autres. – Plus que les autres. Elle est le produit le plus emblématiq­ue de la société du spectacle : un people universel, né de la curiosité des foules et de l’explosion des réseaux sociaux. – Et elle gagne sa vie avec ça ? – Plus de  millions de dollars en , à ce qu’on dit. – Hmmpff ! Ça consiste en quoi, son boulot ? – Rien, vivre, exister, mettre sa vie en scène sur Instagram ou dans des reality shows télévisés, afin d’entretenir le buzz. Au début, elle s’est fait connaître par une sex tape piratée, dont elle a finalement cédé les droits pour  millions de dollars. Aujourd’hui, photos, vie privée, déclaratio­ns : tout est sous contrôle. Chaque jour, il faut donner à manger à ses admirateur­s. Songe qu’elle a plus de   tweets à son actif ! – Du genre ? – Par exemple, le  octobre : « Je pense que je vais aller au défilé Balenciaga sans maquillage ». – Palpitant… – N’est-ce pas ? Eh bien cette info sensationn­elle a été retwittée  fois et « likée »   fois ! – N’importe quoi… – Mais pas du tout. Tout ça est très sérieux. Cette fille a tout compris. C’est une businesswo­man de haut vol, qui a parfaiteme­nt intégré les règles du celebrity

business et du personal branding. – Tu peux traduire ? – Son job, c’est d’exploiter la marque

(brand) Kardashian, c’est-à-dire de commercial­iser un produit qui est en réalité elle-même. Campagnes de pub pour des crèmes amincissan­tes ou une chaîne de restaurati­on rapide, lancement de nouvelles gammes de parfums ou de bijoux, création de jeux en ligne… Il s’agit de faire fructifier le capital immatériel que constituen­t son nom et son image. On est loin du quart d’heure de célébrité dont parlait Warhol. Elle en a fait une carrière, que disje ?, une industrie. – Et l’épisode de la rue Tronchet, en somme, c’est un accident industriel… – Oui et non. Pistolet sur la tempe, ligotée, enfermée dans la salle de bains, elle a passé un très sale quart d’heure. Je la plains. Mais en fin de compte, cela va enrichir le storytelli­ng, donner une dimension pathétique, et même dramatique, à l’histoire dont elle est l’héroïne. Et ça, coco, pour le buzz, il n’y a pas mieux.

« Son job ? exploiter la marque Kardashian, c’est-à-dire de commercial­iser un produit qui est en réalité elle-même. »

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