Monaco-Matin

Enzo,  ans : « la greffe est l’un des plus beaux gestes »

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- ALICE ROUSSELOT arousselot@nicematin.fr

Jean-Eudes Carpe diem. Ce pourrait être le nom du héros d’un roman de chevalerie. C’est celui qu’a donné Enzo à son greffon, il y a un an. Dans une histoire qui mérite plus que jamais d’être racontée. Son histoire. « Depuis sa naissance, il avait une insuffisan­ce rénale, amorce sa mère, Pascale. Sa petite enfance, il l’a plus passée à l’hôpital qu’à la maison… Rien n’est simple chez nous. » Et pour cause, la famille vit au rythme du garçon. Avec en tête - toujours - l’idée que son seul rein en fonction pourrait lâcher. À tout moment. « Un jour de février 2015, on rentrait du ski. Enzo ne semblait pas plus fatigué que d’habitude. Mais on reçoit un coup de fil de son médecin à l’hôpital l’Archet. Il nous disait qu’on en était au stade terminal». La conclusion est sans appel : le collégien doit être placé sous dialyse.

« Toutes nos habitudes ont été chamboulée­s»

Pascale évoque « une claque pas possible ». « On comprend qu’il va devoir y aller trois fois par semaine, durant quatre heures. » Le traitement commence en avril. Enzo se rend en cours à mitemps. Doit arrêter sa passion, les sports de combat, par crainte de se prendre un coup dans le ventre. S’astreint à un régime alimentair­e draconien. «Toutes nos habitudes ont été chamboulée­s, poursuit Pascale. Enzo passait nécessaire­ment avant son frère et sa soeur.» L’espoir que son père, compatible, puisse lui donner l’un de ses reins prend forme. « On ne donne pas comme ça, précise la mère d’Enzo. Il faut passer par l’agence de biomédecin­e à Marseille, aller au tribunal, faire des tests durant deux mois, constituer un gros dossier… » La date de la greffe est fixée à janvier. Mais un appel, en septembre, vient troubler le programme bien établi. Inscrit, malgré tout, sur les listes de demandeurs, le Mentonnais figure en 2e position pour bénéficier d’une greffe. La famille se presse jusqu’à l’hôpital Pasteur. Attend une nuit entière après qu’Enzo a été prélevé d’une «soixantain­e de tubes».

La mauvaise nouvelle tombe au petit matin : «La greffe n’était pas pour moi. Mes parents étaient tristes, mais moi ça allait. Je trouvais ça assez amusant », commente Enzo, bien décidé à prendre le relais pour relater les faits. « Exceptionn­ellement, nous sommes allés manger à McDo » ,se souvient-il. Dans l’aprèsmidi, la famille reçoit un nouveau coup de fil. Cette fois-ci, le rein est pour lui. Sûr. Certain. Retour à Nice. «On a su que l’organe venait de Lyon et qu’il arrivait par l’avion de 21h37», glisse Pascale. Enzo porte aujourd’hui un regard distancé sur l’histoire. Amusé. Et amusant. «Quand je suis entré en salle d’opération, ma mère était en pleurs. Et mon père ne faisait que dire Enfin! Moi, je parlais du sas orange qui me plaisait bien. J’étais déjà un peu shooté. » La nuit, les blocs opératoire­s étaient tous vides. «Comme à Disney avec des manèges fermés ». Avant de s’endormir, Enzo aperçoit le chirurgien de la greffe, Daniel Chevallier,

et son chirurgien pédiatre, Jean-Yves Kurzenne, prévenu en urgence.

Lettre à la famille du donneur

Au réveil, l’adolescent se rappelle n’avoir pu bouger que le bras gauche. Sa mère, elle, se remémore surtout l’arsenal de machines qui entourait son fils. «À 6 h du matin, j’ai pris mes premiers médicament­s, reprend-il. J’avais l’impression que c’était des bonbons. Mais ils sont très très très importants. Pour que les globules blancs n’attaquent pas le greffon. Comprennen­t qu’il n’est pas étranger à mon corps.» Mais plus délicieuse encore a été la première mousse au chocolat mangée hors dialyse. C’est à ce momentlà qu’Enzo a trouvé un nom à son greffon. Jean-Eudes, sa première idée. Et Carpe diem, parce qu’il est là pour «faire du bien». Un nom dont il aura pu expliquer la genèse à la famille de l’enfant à qui appartenai­t le rein. « Deux, trois jours après l’opération,

j’étais content d’avoir le greffon mais je n’acceptais pas qu’il vienne d’un autre, souffle Enzo. Je savais que quelqu’un était mort. Je me questionna­is tout le temps. J’imaginais la famille triste. Et puis j’ai vu des grands médecins, ceux qui vont me suivre toute ma vie, qui m’ont dit que je pouvais leur écrire une lettre anonyme.» Il dit avoir attesté qu’il avait bien reçu le rein. Que c’était bien de l’avoir fait. Qu’il les remerciait, conscient que c’était de leur part «l’un des plus beaux gestes» qui soient. Et qu’il prenait soin du greffon. Prendrait soin de lui. Toujours. Même si les médecins craignent souvent de greffer des gens de son âge, soucieux qu’ils puissent oublier de prendre leur - si contraigna­nt traitement. «Nous avons su qu’ils avaient reçu la lettre le 23 décembre, reprend sa mère. C’était important pour nous qu’ils l’aient avant Noël ». « Le premier sans leur enfant… », complète Enzo. Qui assure avoir retrouvé une vie «quasi normale» à partir de 5 mois de greffe. Reste que « les grosses côtes de boeuf bien salées » sont à proscrire. Que même les «tout petits microbes» représente­nt un danger pour lui. Que les médicament­s, de même que Jean-Eudes Carpe diem, accompagne­ront Enzo toute sa vie. Reste aussi que le regard des gens sur lui n’est plus forcément le même. « J’ai perdu des amis , dit Enzo. Je n’étais pas comme eux, je ne pouvais pas sortir faire un paintball, trop dangereux. Ils avaient pitié et aussi un peu d’envie, vu que j’avais toujours de bonnes notes.» Pour s’extraire de cette ambiance nuisible, l’adolescent a demandé à être scolarisé au lycée FANB de Monaco. Avec succès. «Je suis passé de l’horreur au mieux » résume-t-il. Suffisamme­nt bien dans sa peau, désormais, pour souhaiter défendre ardemment le don d’organe. Militer. Ainsi, il aimerait participer aux prochains jeux des transplant­és. Sorte de jeux olympiques pour les personnes opérées comme lui. «Pourquoi pas en ping-pong, ou alors en semi-marathon, précise-t-il. L’an dernier, je voulais déjà y participer, mais ils m’ont pris pour un fou à moins d’un an de greffe. Ils ne savaient pas que j’ai été autorisé à faire du snowboard au bout de six mois…»

Avenir à l’étranger

Il y a une dizaine de jours, la famille d’Enzo a fêté le premier anniversai­re de JeanEudes Carpe Diem, à Paris. Au Louvre, comme il avait rêvé de le faire. Et quand on lui demande quels sont ses projets pour l’avenir, Enzo ne réfléchit pas à deux fois. Mesurer 1m67, au minimum. Et travailler pour Google, dans la Silicon Valley. Ou mieux encore, «à Samsung. Parce que c’est au Japon. » Grâce à l’opération, le Mentonnais pourra de fait partir à l’étranger. Et mener une vie « la plus normale possible pour un greffé», s’émeut sa mère. Déjà persuadée d’une chose: « Il est intelligen­t, sérieux, mais en termes de pénibilité, il est comme tous les ados!»

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(Photo Sébastien Botella) Enzo et sa famille (ici aux côtés de sa maman Pascale) ont fêté, il y a une dizaine de jours, le premier anniversai­re de sa transplant­ation.

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