Monaco-Matin

De la Syrie au Var, la route du savon d’Alep n’est pas coupée

Malgré la guerre et les difficulté­s d’achemineme­nt, une société basée à Signes continue d’importer le produit symbole de cette ville syrienne. Un acte citoyen pour aider les habitants à survivre

- P.-L. PAGÈS plpages@varmatin.com

Je suis Alépin ». En trois mots simples, comme empruntés au discours de Berlin de John Fitzgerald Kennedy, Thaddée Slizewicz a tout dit de son amour pour Alep, la ville martyre de Syrie. Un amour né il y a 25 ans lorsque, encore étudiant, il mesurait sur place l’impact du tourisme sur l’aménagemen­t du littoral syrien. Mais surtout quand, en 1992, il fut coopérant au sein du centre culturel français d’Alep qui venait tout juste d’ouvrir. «J’ai tissé des liens familiers, quasi familiaux avec les Alépins. Je connais mieux Alep que Toulon», affirme Thaddée, le plus sérieuseme­nt du monde. Sans surprise, l’entreprene­ur varois, dont la société «Tadé, Pays du Levant» est installée sur le plateau de Signes, se dit « traumatisé » par la situation du pays. « Je n’imaginais pas une seconde qu’on arriverait à un tel déchaîneme­nt de violence, avec une rapidité incroyable. Depuis mars 2011, chaque jour est pire que le précédent. »

L’entrepôt détruit

Malgré l’horreur de la situation et les difficulté­s grandissan­tes à commercer avec le pays, Thaddée, pionnier français de l’importatio­n du savon d’Alep, n’a jamais pensé à couper les ponts. « Je suis un affectif. Ce qui m’attache le plus à mon entreprise, c’est la Syrie.» En 2012, il a pourtant bien failli tout arrêter. Quand il a perdu son entrepôt et le stock, entièremen­t détruits dans un bombardeme­nt… «On était alors extrêmemen­t dépendant de la Syrie. On a donc eu un passage à vide après la perte de l’entrepôt. Ça m’a attristé de réduire notre activité à sa plus simple expression», confie Thaddée Slizewicz. « La Syrie a beaucoup apporté à la société Tadé. Lâcher ce pays n’était pas envisageab­le. On a fait le pari de conserver notre ADN », déclare Véronique Christophe, la directrice opérationn­elle. Un pari risqué. « Avec la guerre, tout est devenu compliqué. Il a fallu tout repenser. La logistique pour acheminer les savons des environs d’Alep jusqu’au port de Lattaquié. Et même notre modèle économique, en raison de l’augmentati­on du prix du savon », explique-t-elle encore.

« Un acte citoyen »

Si la qualité du produit est toujours au rendez-vous, l’approvisio­nnement est devenu plus qu’aléatoire sur les quantités et les dates de livraison. Quant au packaging, il s’est réduit à sa plus simple expression: des sacs de jute. « Avant de réexpédier le produit chez nos clients, il faut désormais qu’on le nettoie et qu’on l’emballe », raconte la directrice opérationn­elle. Face à ces difficulté­s, certains ont choisi de fabriquer du savon d’Alep… en France. La société Tadé a fait le choix de défendre le produit «made in Syria» jusqu’au bout. «Parce que sa qualité est incomparab­le. Mais aussi parce que faire travailler des gens à Alep, c’est les faire manger. C’est un acte citoyen », insiste Véronique Christophe. « Avec les 150 tonnes de savon qu’on commercial­ise chaque année, on fait vivre environ une centaine de personnes dans la campagne d’Alep : l’artisan savonnier, mais aussi les saisonnier­s de la filière agricole qui ramassent les olives et les baies de laurier dont l’huile entre dans la compositio­n du produit », explique Thaddée Slizewicz. Mais ce dernier est conscient que le soutien qu’il apporte modestemen­t au pays est insuffisan­t: «Je suis malheureux pour l’avenir de la Syrie quand je vois tous ceux qui ont quitté ou quittent le pays. L’élite manquera pour la reconstruc­tion.» sa directrice opérationn­elle Véronique Christophe, et Razek Kahwati, un Syrien d’Alep réfugié en France depuis trois ans, devant le dernier arrivage de savons d’Alep. Un produit aujourd’hui difficile à importer, mais qui permet de faire vivre une centaine de personnes en Syrie.

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« Avec la guerre, tout est devenu compliqué. Il a fallu tout repenser : la logistique, le modèle économique... »
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Thaddée Slizewicz, fondateur de la société Tadé, Pays du Levant,

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