Monaco-Matin

« Pas simple de s’intégrer »

Richard Whitehead, 40 ans, est médaillé paralympiq­ue. Du 100mau Marathon, le natif de Nottingham est du genre à relever les défis. Comme celui de courir 40 marathons en 40 jours

- PROPOS RECUEILLIS PAR FABIEN PIGALLE

Premier coureur amputé des deux jambes à boucler un marathon en h, Richard Whitehead est une machine. Et on ne dit pas cela parce qu’il porte des prothèses. Non. Si le Britanniqu­e est une machine, c’est parce que rien ne semble l’user. Ni la pression sociale qu’il a ressentie dans son enfance vis-à-vis de son handicap, ni les barrières qu’il a dû franchir pour vivre de sa passion, et encore moi, les kilomètres qu’il a parcourus. Rien. Bien que médaillé d’or et d’argent sur  et  m à Rio, Richard Whitehead ne court pas après les récompense­s. A  ans, il court pour donner de l’espoir aux autres. Et franchemen­t, ça donne envie de le suivre.

Pourquoi courir autant ? Pour une personne comme moi, qui n’a plus ses deux jambes, le fait d’être athlète m’ouvre beaucoup de portes dans la société. Courir, ça a été un très grand défi, mais çam’a permis de casser des barrières. L’athlète Terry Fox , qui avait été touché par le cancer, m’a aussi beaucoup inspiré pour commencer à courir. Courir, c’est ma vie. Devenir un athlète paralympiq­ue m’a permis de faire passer mon message.

Rien n’a été simple pourtant… J’ai dû effectivem­ent passer du marathon au sprint pour pouvoir faire les Jeux olympiques. Parce qu’il n’y avait tout simplement pas de catégorie concernant mon handicap sur mon épreuve fétiche. On m’a dit juste : il n’y a que le  et  m. Quand il y a eu l’annonce de l’obtention des JO par Londres, je n’ai pas hésité. En , je décide donc de passer du marathon à la piste. J’ai gagné les JO et j’ai décidé de courir l’équivalent de  marathons en  jours. Le sport permet vraiment d’inspirer les gens par la suite.

Pour les gens, êtes-vous un athlète paralympiq­ue, ou un athlète tout court ? Disons que les Jeux paralympiq­ues sont une

plateforme, un cadre pour pouvoir s’exprimer dans notre sport. Mais j’aime à penser que le plus important, c’est ce que moi, je peux apporter au sport. Unmessage d’espoir. Après, j’aimerais aussi que les personnes apprécient mes résultats et mes capacités athlétique­s.

C’est le cas ? Je pense, oui. Dans le monde entier, onme considère comme un athlète complet. On neme juge pas. Les personnes voient que je cours le marathon rapidement, que je sprinte aussi très bien. Dans tous les cas, le public n’assiste jamais à la partie la plus importante­s de nos performanc­es : l’entraîneme­nt. Qu’on soit valide ou non, il n’assiste jamais à ça. Il faut prendre du temps, travailler dur, s’infliger une bonne discipline. Et sur ce point, tous les athlètes transpiren­t de la même façon pour gagner.

En France, les Jeux Paralympiq­ues ont trouvé pour la première fois une expo médiatique… Les JOde Londres en  ont été aussi un tournant pour la Grande-Bretagne. La participat­ion des médias, télés et journaux a permis cette émancipati­on. Il y a eu vraiment une différence de traitement. On ne parle plus Richard Whitehead cherche à faire passer des messages d’espoir.

uniquement de l’histoire de notre handicap, mais bien de nos performanc­es et résultats en compétitio­n.

Tous les athlètes connaissen­tdes périodes difficiles… àquoi pensezvous dans cesmoments-là ? Ce qui est important c’est d’être fidèle à ses valeurs. Je soutiens beaucoup d’associatio­ns. Notamment une qui lutte contre le cancer. J’ai perdu quelqu’un de proche de cette maladie. J’ai rencontré aussi des personnes qui étaient bien plus touchées que moi. Je soutiens Médecin sans frontière (MSF) également, et jeme suis rendu dans les camps de réfugiés en Syrie. Donc je me dis : dans la vie, il faut garder espoir et on finit toujours par trouver la lumière au bout du tunnel. Donner de l’espoir, c’est l’une de mes responsabi­lités. Je ne peux pas me plaindre. Je suis né avec mon handicap à Nottingham

où la pression sociale était très forte. Ce n’était pas simple de s’intégrer quand on est différent. Il y a peu de temps dans l’histoire que nous sommes acceptés en tant que personne. Et il y a encore les mêmes préjudices que lorsqu’on évoque le racisme ou les religions. Mes parents m’ont aidé et m’ont de suite fait comprendre que le sport pouvait me permettre de bousculer les codes. J’ai fait plusieurs sports, mais rien ne me passionnai­t vraiment, jusqu’au marathon. Courir, c’est partager.

En Grande-Bretagne, la période de l’adolescenc­e pour un athlète est très importante, notamment avec les études. Comment l’avez-vous vécu ? Ça a été très dur. Ma famille et mon coach m’ont soutenu. Mais c’est clair que j’ai dû en faire plus pour réussir qu’une personne normale, pour avoir la même chose.

Qui vous inspire ? S’inspirer d’une seule

personne, ce n’est pas très bon parce qu’on risque peut- être d’être déçu à un moment par cette personne. J’essaye de prendre ce qu’il y a de mieux dans chacun des athlètes pour devenir plus fort. On peut toujours apprendre. Après, je reste fidèle à plusieurs principes : honnêteté, déterminat­ion, esprit d’équipe.

Vous ne citez pas Pistorius… (rires) Je vois ce que vous voulez dire... Qu’on le veuille ou non, il a participé aux développem­ents et à l’exposition­médiatique de notre sport. Il y a eu Thomson aussi. Mais peut- être que sans Pistorius, lemouvemen­t paralympiq­ue n’aurait pas été ce qu’il est aujourd’hui.

Vivez-vous de votre passion ? Oui. Je suis profession­nel depuis . Avant, j’étais prof de sport à Nottingham, dans ma ville. J’ai très vite compris ce que l’on doit donner pour réussir.

On doit donner quoi ? Il faut être une personne dynamique. Toujours regarder devant, avancer, s’intéresser et apprendre. Savoir se remettre en question. Avoir le courage de changer une idée qu’on avait. Faire un choix différent. Le chemin du succès n’est jamais droit. Il faut surtout bien s’entourer de personnes qui vous aident et vous soutiennen­t. Peut- être même que ce sera des gens que vous n’aimez pas spécialeme­nt, mais c’est comme ça qu’on avance. Alors forcément, tout ça implique d’être patient.

Vos prochains objectifs ? Il y a les championna­ts du monde à Londres l’an prochain. Et après, je suis toujours ouvert à voyager et à promouvoir le sport.

Pas demarathon ? Je me concentre sur la piste (rires)… Après peut- être je reviendrai aumarathon. Je n’ai pas encore fait celui de Paris, donc pourquoi pas. Le marathon est vraiment très important pourmoi. C’est un événement gratuit à regarder et il faut être fort pour y participer. Mais tout le monde peut le faire, peu importe l’âge.

Beaucoup d’athlètes redoutent lemoment où il faudra stopper sa carrière. C’est le cas pour vous ? Non pas du tout. Je vois ça comme une nouvelle opportunit­é de faire autre chose. Je travailler­ai toujours dans le sport et j’aiderai la prochaine génération au Royaumeuni ou ailleurs. En fait, il y a dans le monde entier des personnes qui ont besoin de soutiens. Je veux qu’on se souvienne de moi comme quelqu’un qui n’avait pas peur de relever des défis.

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(Photos M. Alesi)
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Qui étiez-vous, avant de courir ?

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