Les dessous du rapt de Jacqueline Veyrac
«Nice-Matin» vous révèle la dernière réunion secrète de la cellule des ravisseurs présumés, qui était surveillée ! Et dévoile les coulisses d’un rapt à la fois hors normes et voué à l’échec
Ils sont trois dans le salon de l’appartement. Giuseppe, le restaurateur étoilé et rondouillard. L’Anglais, SDF, ex-soldat de Sa Majesté et « Tintin », l’expaparazzi à la dérive. Soit, par ordre d’apparition et selon la justice: le commanditaire, le logisticien et le « détective privé ». Nous sommes mercredi 26 octobre, fin de matinée. Jacqueline Veyrac a été enlevée deux jours plus tôt. Aucune nouvelle des ravisseurs et de la victime. Alors que la France s’interroge, le trio s’est discrètement donné rendez-vous dans ce logement situé en étage d’une résidence de la rue Barberisà Nice, au fond d’un long couloir. On imagine qu’à l’intérieur, la tension est grande. L’affaire est ultra-médiatisée, l’étau se resserre autour d’eux. Les flics sont sur les dents pour retrouver Jacqueline Veyrac, la patronne du Grand Hôtel de Cannes et de la Réserve à Nice. Questionde vie ou de mort.
Le rendez-vous secret
La PJ niçoise a été renforcée par les collègues de Marseille. Du matériel sophistiqué a été envoyé par la direction centrale d’Ecully (Auvergne-Rhône-Alpes). Mais cela, le trio – même s’il doit s’en douter – l’ignore. Quel était le but de cette réunion? Cadrer la remise de rançon? Prévoir un plan de sortie? Des bisbilles étaient-elles apparues dans l’équipe? Ironie du sort, sur la porte de l’appartement a été placé par son occupant, Luc Goursolas, l’ex-paparazzi, un autocollant: « Sous surveillance électronique ». Dérisoire, lorsque l’on sait que « sous surveillance électronique », le trio l’est depuis la veille au soir. Mais par les policiers. La planque du quartier Ri- quier est même cernée. Rien de ce rendez-vous du mercredi n’échappe aux oreilles et aux yeux de la PJ. Les policiers étaient donc « au cul » de l’équipe du commanditaire, Giuseppe Serena, dans les quelques heures qui ont précédé la libération de Jacqueline-Veyrac! Les limiers attendaient vraisemblablement juste de connaître le lieu de détention de la millionnaire pour la libérer et ensuite « sau- ter », dans le jargon policier, l’équipe de ravisseurs. La chance va leur venir en aide. Moins de deux heures plus tard, grâce à la vigilanced’un riverain de la colline de Bellet, Jacqueline Veyrac sera libérée. Le coup de pouce qui permettra à la veuve de 76 ans d’échapper plus vite à l’enfer, au grand soulagement de sa famille et des enquêteurs. Elle était ligotée avec un collier de serrage en plastique, les liens si serrés qu’ils la blessaient. Le véhicule où elle était séquestrée était déplacé toutes les quatre heures par des hommes de main pour tenter de semer la police. La veuve libérée, plus rien ne s’oppose alors ce mercredi après-midi à l’interpellation de l’équipe et aux perquisitions dans les différents logements.
« Une tradition de rapts sur la Côte »
Ce dossier, c’est l’histoire d’un enlèvement voué à l’échec, monté par des hommes financièrement aux abois. « On a une longue tradition de rapts sur la Côte d’Azur, mais aussi de ratages » , commente ironiquement un avocat. Les époux Guiglion à Nice en 2006, un père et sa fille à Menton en 2010, un septuagénaire en 2015. « Monter un rapt avec demande et remise de rançon à notre époque? C’est une aberration », souffle un policier. Dans l’affaire-Veyrac, ce qui a fait tomber l’équipe du commanditaire présumé, Giuseppe Serena, ce sont les balises GPS et une bonne dose d’amateurisme. Les balises : dès le lundi soir, « Tintin » a compris que le risque était là. Cet ex-photographe de presse et paparazzi se dit « détective privé ». Sans être légalement enregistré ainsi. Plus que « Tintin » – son surnom dans le métier – il faudrait l’appeler « Inspecteur gadget ». Un véritable fondu de caméras espion, de trackers GPS, de matériel d’écoute. Du genre à courir les salons spécialisés pour dégoter la dernière sortie high-tech. Ses compétences en matière de renseignement – il n’aurait selon nos informations était recruté que dans les derniers jours – ont visiblement séduit le commanditaire. Mais au soir du rapt, le lundi, « Tintin » sait que la voiture de la septuagénaire est aux mains des limiers de la police scientifique. Car il a collé quelques jours plus tôt deux balises GPS sous le véhicule pour tracer ses allées et venues. Sans connaître la finalité de l’affaire, c’est-à-dire un rapt, affirme-t-il pour sa défense. Et ce lundi soir, sur son écran d’ordinateur, le point rouge s’est déplacé jusqu’à la caserne Auvare de Nice... La voiture y était emmenée pour relevés d’empreintes. Selon nos sources, ces trackers GPS sont centraux dans la résolution de l’enquête. Découverts lemardi par la police scientifique, ils vont effectivement trahir le détective, placé sur écoute. Puis toute l’équipe. Ce qui amènera les enquêteurs de la PJ, le mercredi matin, autour de l’appartement de Riquier. Aujourd’hui, tous ou presque sont en prison. Un ex-policier a été mis en examen mais remis en liberté. L’enquête des juges Derveaux et Chemama ne fait que commencer. Jacqueline Veyrac, une femme au courage hors normes, qui avait défié les ravisseurs en refusant de s’alimenter, se repose. Elle attend également de savoir, comme la justice, si certains des hommes aujourd’hui entendus, et notamment Giuseppe Serena, sont les mêmes qui avaient déjà tenté de l’enlever en 2013...