Fedoroff ou le goût des autres
L’amateur d’art a passé sa vie à tendre la main à de jeunes artistes qui s’apprêtent à découvrir le feu des enchères à Paris. Artcurial expose certains lots, aujourd’hui, quai Antoine-1er
C her Michel, ta vieest un roman à la Tolstoï, une vie fulgurante et riche dédiée à lacréation, aux artistes etàdiffuser auprès de cette communauté artistique avec ta faconde des conseilsprécieux sous la forme de haïkus. Ton adage que tu aimais répéter “Il vaut mieux un peu de beaucoup que beaucoup de rien” résonne toujours comme la philosophie d’unevie d’unréel esthète que tu as été, toujours en quêted’aventures et de nouveautés, toujours à l’écoute des mutations culturelles et technologiques dumonde culturel en mouvement. » La plumeamicale et inspirée de Jérôme Sans, critique d’art reconnu et ancien directeur du Palais de Tokyo, se suffit pour portraitiser Michel Fedoroff. La parole d’un ami qui intervient à l’heure d’une brève exposition de la collection Fedoroff, aujourd’hui à la galerie Marlborough de Delphine Pastor (4, quai Antoine-Ier), en prélude d’une vente aux enchères (114 lots) par Artcurial, le 28 novembre à Paris.
« Une révélation »
Décédé à l’été 2014, le résident monégasque et amateur d’art – il negoûtait point l’étiquette de collectionneur – avait consacré sa vie à lancer et promouvoirde jeunes artistes. Jusqu’à créerune résidence d’artistes sur les collines de Bargemon dans le Var. Unengagement aux fron- tières du sacerdoce, né à l’aube de l’âge adulte. Fils d’un émigré russe chauffeur de taxi dans la capitale, Michel Fedoroff fait ses gammes, dès 15 ans, dans une petite entreprise de musique d’ambiance qui deviendra n°1 mondial. En parallèle, il « bricole » des sculptures en bois ou plâtre. Mais plutôt qu’un artiste, il sera un messager. « Du côté de Pontoise, j’ai découvert les plaines de Pissaro età Auvers-sur-Oise la maison de Van Gogh. Une révélation. Je me suis rendu à Amsterdam et je me suis aperçu que certains artistes meurent pauvres sans pouvoir vivre de leurs oeuvres. »
« Engagement total »
« Il avait le goût de la découverte, de se faire surprendre. C’était un engagement total, surtout ces dernières années » , estime Martin Guesnet, expert enart contemporain en charge du développement d’Artcurial en Europe. Un goût pluriel que les experts d’Artcurialontsouhaité retranscrire dans un catalogue décliné en cinq thématiques: l’Ecole de Nice, lesnouveaux réalistes, conceptuel et minimal, la scène contemporaine et lesphotographies. « C’est un cheminement cette collection, c’est çaqui est beau. Aujourd’hui on voit tellement de collectionneurs qui veulent tout acheter tout prêt, tout fini. Toutes ces collections se ressemblent alors que celle-ci s’est faite vraiment avec les premiers pas auprès de galeristes, Jean Ferrero sur Nice, puis après il a évolué vers Catherine Issert (Saint-Paul-de-Vence), et puis Hervé Loevenbruck qui a été déterminant. C’était osécequ’il faisait de se confronter à l’avant-garde. C’était un mécène qui a laissé un grand vide » Au final, une collection aussi homogène qu’éclectique, faisant lapartbelle aux lauréats du prix Marcel-Duchamp. bref, un regard unique sur l’art.
Mélange des genres
Fedoroff n’hésitera pas à se délester d’oeuvres majeures signées de Roy Lichenstein ou Piero Manzoni, pour financer des créationscontemporaines telles Mason Massacre, la Ferrari Testarossa en marbrede Dewar et Gicquel ou le Bibendum (voir photo) de Bernard Peinado exposé aujourd’huià Monaco. Sur lesmursde lagalerie s’affichentégalement lesmenottes en acier de Kader Attia, les Chiffons japonais de Gérard Deschamps ou encore un ex-voto rouge ( Souvenirs) de Claude Gilli. « M. Fedoroff touche beaucoup de monde. Il était apprécié à Monaco et ça montre qu’Artcurial peut faire d’autres choses » , se félicite la directrice d’Artcurial Monaco, Louise Grether.