Monaco-Matin

Retour dans les villes fantômes irakiennes

Deuxième volet de notre reportage en Irak. Dans le sillage de l’associatio­n humanitair­e SOS Chrétiens d’Orient, nous avons visité les villes récemment reprises à Daesh. Un spectacle de désolation

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À19 ans, Onel a encore un visage d’adolescent. Les jours où il pourra s’afficher avec une épaisse moustache irakienne sont encore loin. En revanche, il porte déjà une kalachniko­v à l’épaule! Onel n’est pourtant pas un guerrier. Il est juste responsabl­e de la sécurité de l’évêque d’Alqosh, petite ville située à 45 km au nord de Mossoul. Cela en dit long sur les persécutio­ns dont sont victimes les chrétiens en Irak. Qu’ils soient catholique­s ou orthodoxes. Encore plus depuis l’avènement de Daesh.

Témoigner des persécutio­ns

Pour nous en convaincre, les pères Salar Kajo et Araam Romel Hanna se proposent de nous servir de guides dans les villes martyres de Batnaya et Telskuf. La voie qui y mène, plein sud à travers une plaine désertique, contraste avec la route très fréquentée qui relie d’est en ouest Erbil à la Turquie. Les seuls véhicules que nous croisons sont militaires: Humvee et camions-citernes circulant drapeau irakien au vent. En chemin, on traverse une large tranchée antichar, flanquée de casemates tous les 200 m. « L’ancienne ligne de démarcatio­n » , précise Simon, notre chauffeur. À hauteur de Telskuf, un pick-up avec à son bord un membre de l’Asayesh, les services de sécurité et de renseignem­ents kurdes, se joint à nous. « Bien que libérées de- Pour le père Salar, ici dans l’église profanée de Batnaya, c’est maintenant, tout de suite, que la communauté chrétienne du nord de l’Irak a besoin d’être aidée.

puis deux semaines, les villes n’ont pas été sécurisées. Des engins explosifs improvisés peuvent s’y trouver. Et puis, il y a toujours le risque de voir des combattant­s de Daesh surgir des innombrabl­es tunnels qu’ils y ont creusés » , explique le père Salar, presque sur un ton espiègle… Vidée de ses habitants depuis août 2014, Batnaya n’est pas près de retrouver son animation d’antan. Les maisons et autres constructi­ons d’un étage effondrées, éventrées, trahissent la violence des combats. Si les prêtres y retournent ponctuelle­ment, acceptant au passage de prendre quelques risques, c’est pour témoigner des persécutio­ns à l’encontre de leurs coreligion­naires. Au moment de quitter la route principale pour s’engager dans

les rues de la ville, le père Salar avertit notre chauffeur : « Surtout, restez dans les traces du véhicule qui vous précède! » Au bout de quelques centaines de mètres, des murs écroulés nous empêchent d’aller plus loin. Sautant hors du pick-up, le gardeAsaye­sh ouvre la marche dans les ruines.

Statues de la Vierge décapitées

Attentif au moindre mouvement suspect. La ligne de front n’est pas loin. À une dizaine de kilomètres plus au sud, autour de la commune de Telkef. À proximité de l’église, le père Araam nous montre un lanceur artisanal de roquettes Katioucha. Avant de pointer du doigt un dessin peint sur un mur. « C’était un genre de plan pour aider les djiha-

distes à orienter leurs tirs de roquettes » . En pénétrant dans l’église, la petite délégation varoise de SOS chrétiens d’Orient est sous le choc. Les statues de la Vierge ont toutes été décapitées, amputées des mains. La croix est criblée de balles. Au fond de l’édifice, les djihadiste­s avaientmêm­e bricolé une échelle horizontal­e pour s’entraîner physiqueme­nt. Devant de telles profanatio­ns, Rodolphe Istre, le représenta­nt de l’associatio­n humanitair­e pour le sud- est de la France, ne peut s’empêcher de s’agenouille­r au pied de l’autel. Dans une salle paroissial­e voisine, un djihadiste allemand a laissé un message à l’attention des chrétiens. En substance, il dit ceci: « Vous, esclaves de la croix, votre place n’est pas ici. » Un peu plus loin, le père Salar tient absolument à nous montrer quelque chose. Surtout aux trois Anglo-Saxons de Preemptive Love Coalition, une associatio­n mondiale de « faiseurs de paix ». Les combattant­s de Daesh ont abandonné sur le sol des sachets vides de rations de combat… américaine­s.

Perte de confiance

Il est temps de partir. On n’a que trop traîné ici. Retour à Telskuf plus au nord. Si la ville n’a été occupée que quinze jours par Daesh, les dégâts y sont considérab­les. Dans ce qui fut la rue commerçant­e, pas une boutique qui n’ait été pillée, incendiée. Les seuls occupants que nous y croisons sont les militaires de l’armée irakienne ou les membres de la milice chrétienne Zeravani. En majorité originaire­s de la ville, ces derniers n’ont pas vocation à l’offensive. Ils sont là pour assurer la sécurité des villes reprises àDaesh. Mais pour l’heure, aucun habitant n’a envie de revenir vivre ici. « Ils sont encore sous le choc », reconnaît le père Salar. Malgré l’adversité, ce dernier se montre combatif. « La question qui se pose pour les chrétiens est de savoir s’ils vont rester là ou pas. S’ils ont encore une chance de revenir habiter leurs maisons, c’est maintenant ou jamais. Après trois ans sans toit, sans travail, sans argent, ils ne peuvent plus attendre et ont besoin d’aide pour reconstrui­re leur vie. S’ils n’ont pas rapidement cette aide, Daesh aura gagné. » Pas sûr que cela suffise. Avec les conquêtes des djihadiste­s, les chrétiens semblent, en effet, avoir perdu toute confiance envers leurs frères musulmans.

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(Photos P.-L. P.)
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