Monaco-Matin

« J’avais honte d’être seule » Soins

Dans « Ah mère tu m’ », Lisa, une jeune Vallaurien­ne de 18 ans, retrace son expérience du harcèlemen­t scolaire, durant une période où elle était particuliè­rement fragile

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

J’ai lu votre article sur le harcèlemen­t scolaire (nos éditions du 5 novembre). Il m’a interpellé­e puisque j’en ai moi-même été victime durant mon année de quatrième. » Lisa, une jeune Vallaurien­ne de 18 ans, s’est présentée à nous avec ces quelques mots. Et un livre, publié quelques mois plus tôt, « Ah mère tu m’ » (lire: « Amertume »), un roman, inspiré de son vécu d’adolescent­e, confrontée dans la même période au divorce de ses parents et au harcèlemen­t. « Je l’ai rédigé dans l’espoir de faire entendre la voix de l’adolescent qui, dans ce type de situation, a souvent du mal à parler ou à se faire entendre. » Année de quatrième. Lisa fait une rentrée particuliè­rementmoro­se. Ses parents se séparent, la fillette de 12 ans est mal dans sa peau, elle se tient en retrait dans sa nouvelle classe où elle n’a retrouvé aucune de ses camarades de l’année précédente. « Je n’allais pas vers les autres », reconnaît Lisa. « Et puis, c’est vrai que je n’écoutais pas les mêmes musiques: j’écoutais plutôt Cabrel, Renaud, quand eux préféraien­t Justin Bieber, Jay-Z ou Kanye West… Je ne regardais pas les mêmes choses non plus… »

« On a commencé à dire que j’aimais les filles »

Bien malgré elle, l’adolescent­e devient la cible d’une autre élève, dont elle apprendra par la suite qu’elle est coutumière du fait. « Des rumeurs ont commencé à circuler autour de mes préférence­s prétendues pour les filles; en fait, dans les vestiaires, j’avais du mal àme changer devant mes camarades, je souffrais de mon acné, je surveillai­s tout le monde autour de moi… C’est là que l’on a commencé à dire que j’aimais les filles… C’était dit comme une insulte, ça n’aide pas vraiment à se construire. » De nombreux épisodes douloureux vont ponctuer l’année scolaire. Lisa se souvient ainsi de ce jour où une élève, qu’elle ne connaît même pas, lui frotte méprisamme­nt une orange sur la joue, pendant qu’elle déjeune à la cantine… « Pourquoi a-t-elle fait ça? Savait-elle seulement qui j’étais?… » Un autre jour, Lisa, qui s’est vêtue attentivem­ent pour le sport, est traitée bruyamment de « clocharde! » devant tous ses camarades… Pendant la récréation, dès qu’elle le peut, Lisa rejoint ses amies. Mais, en cours, elle est seule, désespérém­ent seule. « On ne me parlait ja- mais. Ou seulement pour me demander de l’aide pour un devoir. »

« Tu es aussi moche que Lisa »

Lisa se réfugie dans le travail; au contraire de baisser, ses notes augmentent. « Pour fuir le sentiment de solitude en classe, je me concentrai­s autant que je le pouvais pendant les cours… » Le harcèlemen­t ne s’arrête pas aux portes du collège. Lisa est aussi l’objet de moqueries sur les réseaux sociaux. « Quand quelqu’un publiait une photo dans laquelle il grimaçait, on répondait: “Enlève-la vite, tu es aussi moche que Lisa”… », se souvient la jeune fille. Si le moral de Lisa est au plus bas, elle se refuse à envisager un passage à l’acte suicidaire. « Je me disais: “Si je fais ça àma famille, je vais encoreplus la briser…” » Mais, à mesure que les mois passent, Lisa éprouve de plus en plus de difficulté­s à en- trer en relation avec les autres. « Le plus dur, c’est la solitude. J’avais honte d’être seule, tellement honte. Et je me disais: “Si je suis seule, on va se moquer encore plus de moi…” J’essayais d’avoir l’air toujours occupée, les yeux rivés sur mon téléphone, sur un livre. Il fallait cacher que personne ne voulait être avec moi… » Pendant cette année, Lisa a été une proie facile pour ses harceleurs. « Je vivais très mal le divorce de mes parents, j’avais dumal à exprimer ma colère. J’étais complexée par mon acné, je ne m’aimais pas beaucoup, je doutais beaucoup. Je n’étais pas très souriante, plutôt fermée… À la base, ils me savaient fragile. Et c’est probableme­nt le cas de toutes les victimes de harcèlemen­t scolaire. Je pense que les harceleurs ne sont pas conscients de la gravité, ne mesurent pas combien c’est douloureux de subir les moqueries, les critiques… » Aujourd’hui, Lisa est élève en prépa littéraire. Son expérience de harcèlemen­t a laissé des traces. « Depuis, je me dis: “Ce n’est pas grave si je suis seule; le principal, c’est qu’on ne s’acharne pas sur moi”… Et j’avoue qu’aujourd’hui, j’ai beaucoup de malàaller vers les autres. J’ai peur de prendre le risque de m’attacher à quelqu’un… » Déjà auteur de deux ouvrages, Lisa aimerait vivrede saplume. Mais la jeune fille, raisonnabl­e, sait que « c’est très compliqué ». Alors, elle envisage plutôt de passer l’agrégation de philosophi­e, une discipline qui la passionne. Philosophi­e, littéralem­ent « l’amour de la sagesse ».

 ?? (Photo d’illustrati­on Michaël Alesi) ?? Le harcèlemen­t à l’école est dramatique­ment répandu. Pour autant, il ne doit pas être banalisé.
(Photo d’illustrati­on Michaël Alesi) Le harcèlemen­t à l’école est dramatique­ment répandu. Pour autant, il ne doit pas être banalisé.
 ??  ?? Lisa Szafraniec
Lisa Szafraniec

Newspapers in French

Newspapers from Monaco