Pascal Papé à coeur ouvert
L’ex-capitaine du XV de France, qui devrait mettre un terme à sa carrière à la fin de la saison, livre le bouleversant récit de sa vie dans un ouvrage sorti il y a un mois. Nous l’avons rencontré
ardi soir, le rugueux deuxième ligne du Stade Français a fait escale à Toulon. Pas pour y rencontrer les dirigeants duRCT, non. Pascal Papéa pris le temps de partager, avec les Toulonnais venus à sa rencontre à la librairie Charlemagne, son histoire. Celle qu’il a finalement décidé de raconter, alors qu’il se soignait en clinique psychiatrique après deux tentatives de suicide et une lourde dépression, en . Le secret si longtemps gardé d’une enfance cabossée l’ayant rattrapé. Ce témoignage, poignant mais pas larmoyant, a trouvé saplace dans un livrequiabouleversé le petit mondede l’ovalie mais pas seulement. Le grand public a découvert, en même temps que la plupart de son entourage, l’homme rencogné sous la solide carapace érigée par l’ex international de rugby. Avant d’échanger avec ses lecteurs, Pascal Papé s’est mis à table, au fond d’un café. Et a accepté de se livrer un peu. Avec pudeur mais sans détour.
Des mots sur les maux
« J’ai décidé d’écrirece livre, simplement parce que j’en avais marre. J’avais envie de renouer avec qui je suis et qui j’ai été. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai menti. Mais quand on cache quelque chose, en l’occurrence mes origines, quandons’enferme trop là-dedans, c’est compliqué. Pesant. Et ça m’est retombé sur lagueule. C’estàcemoment-là que j’ai décidé de mettre des mots sur les maux. Surmes maux. Et de racontermon histoire, dudébut jusqu’àaujourd’hui, pour exorciser un peu mon passé, et m’aider à l’accepter. Celivre, pour moi, est une thérapie incroyable. C’est aussi un message à l’institution, àmes parents, peut-être aux jeunes qui sont dans ma situation, un peu délicate. Ce n’est pas parce qu’on est né avec une étoile qui ne brille pas au-dessus de sa tête qu’on ne peut pas tout faire pour qu’un jour elle scintille. »
Un hommage à sa famille...
« C’est bizarrededireça, mais j’avais envie qu’ils aient un juste retour d’investissement. Investissement d’amour, de protection, de tout fairepour que, malgré tout, je puisse être heureux, équilibré, et que tout roulepour moi. Oui,
je voulais rendre un grand hommageàmon entourage. Mes parents adoptifs, mes soeurs, ma femme, mes enfants. Et ceux qui savaient. Ils ne sont pasnombreux. J’ai desamisqui se doutaientde certaines choses. Mais ils sont tellement dans la retenue... Ils s’en foutaient. Ils m’aimaient pour ce que j’étais, et ne cherchaient pas à en savoir plus. »
Les réactions après ce témoignage
« Après la sortiedu livre, j’ai reçu des témoignagesdecertains joueursetamis, que j’ai côtoyésunpaquet de nuits à l’hôtel et sur les terrains, commeNalluche (Lionel Nallet), Julien Bonnaire, Seb Chabal... Ilsm’ont soutenu. M’ont dit qu’ils avaient trouvé ça courageux. Il n’yaeuaucune critique, aucune mauvaise sensation. Ilsm’ont dit qu’ils étaient assez admiratifs de mon parcours. Cette petite fragilité que j’ai toujours en tant qu’homme, comme il y en a d’ailleurs chez tout le monde, ils l’avaient perçu. Mais ils ne se doutaient pas de tout ça. Ils ne pouvaient pas se douter. »
Les plaies béantes de l’enfance
« Je suis né dans des conditions dantesques. J’ai été laissé à l’abandon par ma mèrebiologique pendant plu- sieurs semaines, quand j’avais trois ou quatre mois, dans un studio minable du quartier des Etats-Unis, à Lyon. Ce sont les voisins qui ont entendumeshurlements et ontappelé lapolice. J’étais dans un sale état, malade, en mal nutrition. De troisàsept mois, j’ai fait un ‘‘stage’’ à la DASS. Età7 mois, c’estma2e naissance. Je suis recueilli par Françoise et Jean-Pierre Papé, qui vont m’élever, m’aimer, avecmestrois grandes soeurs. Je faisais totalement partie de la fratrie. »
Un mur ‘’anti-émotions’’
« Assez jeune, je me suis construit unmur. Dès que j’ai eu l’âge de comprendre, en fait. Dès qu’onacommencé à me mettre devant des assistantes sociales, des éducatrices, des psychologues et juges pourenfants, et surtout qu’onm’a donnédes rendezvous obligatoires avec ma mère biologique qui, pour moi, était une parfaite inconnue et qui me faisait peur. À partir de là, je suis rentré dans un mutisme, et je me suisconstruit une carapace. »
Toujours le même cauchemar
« Toute cette institution me disait ‘‘Attention, il ne faut pas que tu appelles M. et Mme Papé papa et maman. Parce quetamamant’attend, et peut-être qu’un jour elle va pouvoir te récupérer, si elle se soigne, si elle gagne un peu plus d’argent...’’ Quand tu es un petit garçon, tu ne comprends pas forcément tout, et ducoup ça perturbe. Parce que tu te dis que le bonheurdans lequel tu vis, il est hyper éphémère, il peut s’arrêter à tout moment. Avoirune épée de Damoclès constamment au-dessus de la tête, je crois que c’est ce qu’il y a de pire dans la vie. Quand je me couchais chez mesparents, jen’étais jamais sûr d’y revenir lanuit d’après. C’est de là qu’est arrivé ce cauchemar récurrent, toute cetteparanoïapar rapport à mamère. Qu’on puisse venir me reprendre à toute heure de la journée, voire de la nuit... J’en suis arrivé à être gravement touché psychologiquement. Çaaduré jusqu’à mes 18 ans. »
La fin de ce ‘’maudit nom’’
« Le jourdemes 18 ans, jeme suis adopté (sic). J’avais le droit, et je l’ai fait tout de suite. Enfin, c’était officiel. Dansmon esprit, j’ai toujours eu ce nom. C’est la résonance dans la bouche des autres qui m’a faitvraimentdubien. Quand, pour lapremière fois, un speaker annonce mon nom, ‘‘Papé’’, j’ai euune sensation incroyable dans tout le corps, digne d’une superbe victoire au rugby. Après, quand j’ai vu le nom sur la carte d’identité, j’étais content, bien sûr, mais je m’y étais tellement préparé que c’était juste normal. J’étais le garçon de la famille. »
Une blessure profonde
« Une fois que j’appartenais vraiment à cette famille, j’ai eu desmoments de relâche, mais il y avait toujours ces relents du passé. Ce n’était pas soigné, loin de là. Ces blessures douloureuses, épaisses, ça ne guérit pas commeça. Onabeau être indestructible sur un terrain, on est tous des hommes, avec notre sensibilité, nos problèmes. C’est un peu dommagede soigner les choses par la force de l’hormone. Mais j’étais enfermé là-dedans. Tout est remonté à la surface en 2013, quand jeme suis blessé physiquement. J’ai fait une grosse dépression. Et la fleur du mal, c’était ça. »
Cri du coeur contre ‘’l’institution’’
« Cequimedésole, c’estque parfois, le droit parental est plus fort que le droit à la parole de l’enfant. C’est ce qui fait souffrir. Je me demande encore comment ma mère biologique a pu avoir trois enfants, sachant qu’il y en a un qui est passé par la fenêtre, uneautrequi est en maison de psychiatrie, et moi, qu’on laisse tranquillement repartir chez elle. Le système n’est pas cohérent. Jemesuis renseignéunpeu, et malheureusement, je ne crois pas qu’au niveau de toute cette institution, ça a beaucoup changé depuis mon époque. »
Le rugby comme exutoire
« Le rugby, ça a été mon ballon d’oxygène. Mon autre famille. C’est ce qui a permis mon équilibre, alors que ce n’était franchement pas gagné avec ce que j’avais vécu. Heureusement que j’avais cette contrepartie. J’étais quelqu’un de très impulsif, et le rugby, comme le judod’ailleurs, que j’ai aussi pratiqué, m’a permis d’acquérir un ‘‘self-control’’, et le respect. Parce qu’on n’avait tellement aucun respectpour mapersonne, qu’au final je le répercutais sur les autres. »
La vie après le rugby
« Tout le mondeapeur. C’est normal. On vit dans un monde parallèle. Il y a trois ans, jeme suis associé pour créer une boîte d’événementiel sur Paris, avec une filière de reconversion du sportif de haut niveau. J’ai aussi une affaireàLyon. Et je passemes diplômes d’entraîneur. Et puis c’est une vie presque normale qui s’ouvre à moi. J’aurai des vacances, du temps pour ma famille. Là, on est constamment dans l’action. Àunmoment, on ne profite plus du reste. » Double jeu, aux éditions Michel Lafon. ,