Une situation qui s’aggrave
Des patients âgés dans un état très grave, des difficultés à les hospitaliser, des décès en nombre. Si les autorités refusent de parler de débordement, la tension reste très vive aux urgences
Alors que le virus de la grippe continue sa violente progression, la ministre de la Santé Marisol Touraine demandait hier aux hôpitaux de libérer des lits pour faire face à l’afflux massif des patients. Une réalité bien connue des urgences de l’hôpital Pasteur 2 à Nice. Avec plus de 300 consultations par jour, elles sont aujourd’hui en première ligne dans la lutte contre le fléau. « Les autres années, les arrivées étaient plus espacées. Là, on est face à une véritable épidémie, les gens arrivent en grand nombre, sur des périodes très courtes. Et la problématique de l’hospitalisation post urgences, déjà extrêmement sensible, devient encore plus aiguë. On est à bout de nerfs… », témoigne le Dr Serge Bailleux, médecin urgentiste. Au moins 70% des malades qui affluent doivent être hospitalisés. Et c’est là que le bât blesse. Des heures passées au téléphone à essayer de trouver un lit dans l’un ou l’autre des services de l’hôpital ou, à défaut, dans un autre établissement du département.
À la recherche de places
Depuis plus d’une heureThibault tente ainsi de trouver un lit pour « sa » patiente, une dame âgée de 94 ans, envoyée aux urgences par la maison de retraite où elle réside, dans un état gravissime suiteàunsyndromegrippal.
« Mon temps serait mieux employéàautre chose » , regrettet-il. Deux services vont lui répondre qu’ils n’ont plus de place, un autre qu’un lit est bien disponible, mais qu’il est réservéàuncas relevant de la réanimation. Enfin au bout d’une heure, Thibault, à force d’arguments, va enfin obtenir d’un chef de service qu’il accueille la patiente âgée en état de détresse respiratoire. « Ouf ! Une patiente de
moins à hospitaliser... Il n’en reste plus que 57 » , commente un autreurgentiste. Malheureusement, cette dame âgée n’aura pas le temps d’être transportée jusque-là. Elle décédera aux urgences. Un épilogue tristement prévisible. Depuis plusieurs jours, la mort rode dans ces services; les décès de personnes âgées sont quotidiens. « C’est terrible, nous confie un médecin urgentiste. Beaucoup de mai-
sons de retraite ne vaccinent pas leurs résidents. Et ils nous arrivent par vague, très grippés… Beaucoup s’éteignent ici. L’autre jour, ils étaient si nombreux, que nous n’avions plus assez de certificats de décès… » Si leCHUde Nice n’est pas officiellement déclaré « hôpital en tension », les brancards encombrant les couloirs interpellent. Des patients âgés, un masque sur le visage, at-
tendent depuis des heures une solution d’aval. Enclair, d’êtrecouché sur un «vrai» lit d’hôpital. « Les patients jeunes, tout le monde les veut, s’exaspère un urgentiste. Mais la médecine, ce n’est pas ça… La médecine, c’est soigner des gens. Bien sûr, il faut être raisonnable, et ne pas s’acharner pas sur des patients grabataires... Mais même si on ne peut pas les soigner, on doit les accompagner et pour cela, il faut qu’on les accueille dans les services… »
Désencombrer les urgences
« On va passer une mauvaise nuit» , déclare, cynique, unmédecin en arrivant aux urgences. Il est en effet 18 heures, les patients sont encore très nombreux sur les brancards, des familles attendentdepuis desheures, souvent sans nouvelles, et l’Unité de Court-Séjour d’Urgence (UCSU) est saturée. « Normalement, cette unitéapour vocation le suivi et l’orientation des patients victimes d’une crise d’asthme par exempleoud’une intoxication médicamenteuse volontaire. Mais dans une période telle que celle-ci, sa vocation est détournée. Elle offre une solution temporaire pour les patients des urgences en attente d’hospitalisation, oudont le décèsest imminent. Le séjour ne devrait pas dépasser 24 à 48 heures. Certainsysont depuisplusieurs jours… » Ce reportage a été réalisé avant que la ministre de la Santé n’appelle les hôpitauxàdéprogrammer opérations et soins non urgents pour « libérer des lits ». Mais, dès la veille, Nice avait semble-t-il anticipé, permettant de désencombrer les urgences du CHU. Et le calme était un peu revenu. Mais l’inquiétude restevive.