Voyage au bout de l’enfer
À Gonfaron, le Serbe Antonije a vécu l’enfer: coups de marteau, de poing américain, de couteau… Cvetana, la femme du tortionnaire présumé, raconte le calvaire subi pendant plusieurs mois
Un ouvrier serbe a été victime d’actes de barbarie dans le Var. La femme du présumé tortionnaire, également victime de violences, s’est armée de courage pour réunir des éléments à charge et les faire transmettre aux autorités.
Hier matin, la vie suivait soncoursàGonfaron. Sur la place du village, quelques passants déambulaient dans les allées du marché. Les cafetiers faisaient le plein. L’atmosphère était calme et tranquille. Paisible. Loin, très loin de l’horreur qui s’est pourtant déroulée à quelques pas, dans un appartement situé dans un lotissement de la commune. Mercredi 4 janvier, un homme d’origine française néàPontoise en 1985yaété interpellé et placé sous mandat de dépôt criminel. Le 6 janvier, il était mis en examen pour traite d’un êtrehumain avec torture et actes barbares et pour violence sur conjoint, avant d’être placé dans la foulée en détention provisoire. Du haut de ses 22 ans, Cvetana( la femmeduprésumé tortionnaire, à l’origine de l’arrestation de son mari, raconte le calvairequ’elle, Antonije( et son fils de quatreans ont subi pendantplusieurs mois.
« Il me frappait pour un rien »
Cvetana est Serbe. Elle bute parfois pour trouver ses mots en français, mais on la comprend sansmal. Elle explique être arrivée dans la région il y a un peu plus de quatre ans. « Je me suis mariée avec Serge en Serbie le 18 octobre 2012. Nous sommes venus nous installer à Gonfaron le 22 mars 2013. » À l’époque, les choses étaient déjà compliquées. « Il me frappait pour un rien, dès qu’il était contrarié ou que je faisais quelque chose qu’il n’aimait pas. » Progressivement, la violence va glisser jusqu’au point de non-entendement. « Il y a plus d’un an, mon mari avait contacté un ami en Serbie via Facebook, pour qu’il vienne l’aider à travailler sur ses chantiers de maçonnerie. Il a accepté. Antonije est arrivé chez nous le 22 novembre 2015. » Au début, tout se déroule bien. Et puis c’est la bascule. « Il l’a frappé une première fois, puis les choses ont dégénéré. Il s’est mis à lui taper les jambes avec une batte de baseball. Il avait des hématomes partout. J’ai bien essayé de m’interposer, mais il me frappait aussi. Je ne pouvais pas le protéger. Il nous criait: “C’est moi le patron, vous faites ce que je veux! ” » Pourquoi cette violence ? « Sans raison particulière, simplement pour que l’on fasse ce que lui voulait » , explique Cvetana. Mais ça ne s’arrête pas là. « Jusqu’ici, il se contentait de nous frapper, ça n’allait pas plus loin. » Fin août, les choses prennent une tournure sinistre.
Actes barbares
« Les coups de batte sont dès lors quotidiens, il utilise un poing américainpour le frapper, et se met à lui poignarder et à lui lacérer les jambes. Il l’oblige à lui chauffer les pieds avec un sèche-cheveux toute la nuit. Ou à les lui masser cinq à six heures durant. Et lorsque Antonije disait avoir mal aux mains, les coups pleuvaient. » Pire encore, son bourreau l’obligeait à nettoyer les traces de sang. « S’il en restait, il le refrappait. » À cela s’ajoute la privation de besoins primaires. « Il n’avait pas le droit d’aller aux toilettes, il allait à la stationservice. Il pouvait prendre une douche, mais uniquement la porte ouverte, et pas plus de deux minutes. Au début, il pouvait dormir sur une chaise, mais dès décembre, Antonije était contraint de coucher sur le balcon. Serge décidait de tout. » Ils étaient ses “choses”. À cela s’ajoute la privation de nourriture. « Antonije mangeait quand Serge le voulait bien. Il a perdu 40 kilos. Pendant que mon mari dormait, je lui donnais un Snickers, une cigarette… »
Une femme courageuse
Et de poursuivre: « Jenepouvais pas le regarder mourir. Je lui disais qu’il fallait qu’il fasse quelque chose. Mais il me répondait qu’il nepouvait pas. » À ce moment-là, la jeune femme s’armedecourage et décide de monter un dossier pour recueillir des preuves. « C’était ça ou c’était terminé, lance-t-elle. Je me suis mise à prendre discrètement des photos et des vidéos. Il lui faisait notamment mettre sa main à plat sur une chaise pour lui asséner des coups de marteau. Il fallait que j’aie des preuves pour que l’on puisse me croire. » Mais Cvetana prend des risques. Et elle le sait. « J’utilisais mon téléphone. Dès que j’avais pris une photo, je l’envoyais à une amie en Suisse, puis je l’effaçais aussitôt. » C’est cette amie qui a véritablement tiré la sonnette d’alarmeen apportant les documents à lagendarmerie de Saint-Louis, à la frontière franco-suisse. Tout en précisant bien aux forces de l’ordre, qu’il fallait interpeller Serge, sinonc’était lamort assurée. Le mercredi 4 janvier, l’hommeest appréhendé à son domicile et placé sous
mandat de dépôt criminel. « J’avais le coeur qui battait à 100 à l’heure. Jene savaispas comment çaallait se passer. Ils ont forcé la porte, Serge a dit à Antonije d’aller se cacher. Mais ils l’ont trouvé. » Le 6 janvier, Serge est mis en examen pour traited’un être humain avec tortureet actes barbaresetpour violence sur conjoint, puis placé dans la foulée en détention provisoire. Pour Cvetana, l’objectif est désormais de rentrer enSerbie pour y retrouver sa famille et ses amis, inscrireson enfant à l’école, trouver un travail. Vivre en somme.
Antonije a perdu kilos”