Monaco-Matin

Son oncle a-t-il été spolié de 2,5 M€?

Le tribunal de Monaco jugera mardi un Français de 73 ans suspecté d’avoir floué un nonagénair­e par le biais de placements immobilier­s. L’aboutissem­ent de douze ans de combat pour son neveu

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

C’est un film! » Ou plutôt un mauvais polar aux yeux de Christophe E., impatient de voir sonaffaire­évoquée devant les juges. L’aboutissem­ent de douze années de combat judiciaire pour ce Haut-Savoyard de 52 ans, résidant à Èze. Mardi 17 janvier, le tribunal correction­nel de Monaco doit juger l’homme qu’il accuse d’avoir floué son oncle LazareE., 91 ans, retraité françaisma­is résident monégasque. Une escroqueri­e dont lemontant total s’élèverait à 2,5 millions d’euros. Cet homme, c’est Henri D., 73 ans. Un Franco-Américain résidant à Miami dont la véritable identité reste incertaine, toutcommel­e lieu de naissance (Nice ou Alger). Il est soupçonné d’avoir abusé de la vulnérabil­ité de Lazare E., en l’amenant à réaliser des placements immobilier­s hasardeux aux États-Unis et en Italie. Ces investisse­ments auraient dilapidé l’essentiel de la fortune du retraité, et bénéficié in fineàHenri D. Une version que l’intéressé, par la voix de son avocat, nie faroucheme­nt (lire ci-contre). Tout comme… l’oncle lui-même.

Cap sur la Floride

Né en France le 21 septembre 1925, Lazare E. a vécu toute sa vieàMonaco. Il n’a jamaisété marié, ni père de famille, raconte son neveu Christophe. « Mais comme j’ai perdu mon père très jeune, il se présentait un peu comme mon second père. » Ex-comptable chez Christian Dior, Lazare E. « n’a jamais eu de grosse voiture, jamais étalé sa fortune ». Autrecarac­téristique: des facultés auditives très altérées, depuis une otitemal soignée. C’est dans ce contexte qu’en 2003, au Jardin exotique, Lazare fait la connaissan­ce de Cristina J., 56 ans, épouse de Henri D. Le retraité, qui a perdu sa compagne, se lie d’amitié avec le couple. Au point d’accorder à Cristina un prêt de 100000 euros pour leur permettred­es’installerà­Monaco. Puis de partir en voyage avec ses nouveaux amis aux États-Unis, en 2005. Et d’y réaliser d’importants investisse­ments immobilier­s. « Enavril 2005, ma soeur va chercher notre oncle à l’aéroport de Nice. Mais une distance s’est alors créée, explique Christophe E. Il lui indique avoir acheté trois appartemen­ts àMiami. Je découvrira­i par la suite qu’en réalité, il en a acquis quatre, et même six en comptant ses participat­ions dans une SCI. » Dans le détail, Lazare E. a acquis trois appartemen­ts pour 150000, 180000 et 465000 dollars, et une maisonà190­000 dollars. Des actifs dont il consent la jouissance et la gestion à ses amis. S’y ajoutent la participat­ion à des sociétés dont Henri D. est partie prenante, puis un prêt de 120000 dollarsàce­dernier. Total: 1,75 million d’euros. Cerise sur ce gros gâteau: un prêt de 750 000 euros en mai 2008. Lazare E. a-t-il agi en toute connaissan­ce de cause ? Ou a-t-il été spolié par ses nouveaux « amis » ? C’est là tout l’enjeu du procès.

« Tu ne les connais pas! »

Christophe E., qui compte parmi ses légataires universels, est persuadé que Lazareaété victime d’un escroc. « Nous ignorions la surface financière de mon oncle, due à son appartemen­t au parc Saint-Roman et à de bons placements. Il nous avait habitués à être carré, structuré. J’ai déposé plainte après avoir enquêté sur le passé d’Henri D. » Christophe E. tente d’aborddemet­tre en garde son oncle. « Je lui soumets des documents, je lui apprends qu’Henri D. aété mêléàplusi­eurs affaires aux États-Unis. Mais il ne se réveille pas. Il fait un déni et me dit: “Ce sont mes amis. Tu ne les connais pas!” » Entendu par la justice, l’anciencomp­table assureêtre­pleinement lucide. Et tient en haute estime Henri D., dépeint enhomme d’affaires avisé. Alors le neveu remue ciel et terre pour traîner Henri D. devant la justice. A Nice, puis à Monaco. Obtient de premières victoires en 2010 avec le placement sous tutelle de son oncle, et l’ouverture d’une informatio­n judiciaire pour escroqueri­e, abus de faiblesse et recel. Par la suite, l’avocat monégasque Me Didier Escaut se constitue partie civile. Lesannées passent. Le temps judiciaire s’étire, au fil des commission­s rogatoires aux États-Unis et en Italie. Les experts se déchirent sur le cas de LazareE., l’un le disant « manipulé et spolié » , l’autre doté d’ « un discerneme­nt suffisant » . Accréditan­t la seconde hypothèse, le juge rend un non-lieu en 2016. Mais la partie civile a fait appel de l’ordonnance et obtenu le renvoi de l’affaire. Au final, Henri D. est bien attendu mardi au tribunal. « Enfin, on va voir s’il arrive à prouver son innocence. Une condamnati­on protégerai­t au moins la partie résiduelle du patrimoine de mon oncle » , estime Christophe E. Ami ou escroc: c’est désormais à la justicede trancher.

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 ?? (Photo Frantz Bouton) ?? Christophe E. s’est battu pour traîner devant la justice celui qu’il accuse d’avoir escroqué son oncle. Une version contestée par la partie adverse et par le retraité lui-même, sous tutelle.
(Photo Frantz Bouton) Christophe E. s’est battu pour traîner devant la justice celui qu’il accuse d’avoir escroqué son oncle. Une version contestée par la partie adverse et par le retraité lui-même, sous tutelle.

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