Gregaenfinpu remercier son sauveur Marc
Ilvoulaitattendre « lebonmoment ». Celuioùil se sentirait prêt, physiquementet moralement. Six mois après l’attentat qui a failli lui coûter la vie à Nice, et à laveillederegagner Los Angeles, Greg Krentzman, 53 ans, a senti ce moment venu. L’heure de rencontrer, enfin, l’homme qui l’a sauvé. De lui exprimer son infinie gratitude. Et de le serrer, fort, dans ses bras. Alors, hier, leurspasconvergent vers la promenade des Anglais, enfacedu Negresco. Al’endroit précisoùleurs destins sesont croisés, danslechaos du 14-Juillet. Il est 17heures, la lumièredécline sur la mer argentée. Greg Krentzman, l’Américain, s’avance en béquilles, entouré de son épouse niçoise Sophie etdeleur adorable Lola, 10 ans. Marc Phalip, le Niçois, arrive avec sa compagne Valérie Portet. Leurs regards se croisent. Les souvenirs affluent. L’émotion déborde. Greg et Marc tombent dans les bras l’un de l’autre, souslesyeuxde Sophie inondés de larmes.
Touteune famille blessée
Denombreuses lueurs d’espoir ont surgi des ténèbres du 14-Juillet. Il y eut ces actes héroïquesdecitoyens pour stopper le camion fou, à l’instar de Franck « l’homme au scooter » oud’Alexandre lecycliste. Et il y eut ces histoires bouleversantes d’inconnus venus en aide aux blessés, musparunepulsiond’humanité plus forte que la peur, que la mort. L’histoire de Greg et Marc est de celles-là. Une histoire émouvante aux circonstances dramatiques, mais à l’issue heureuse. Greg Krentzman est le seul Américain victime du camion fou à avoir survécu à l’attaque, qui a emporté trois de ses compatriotes. Le 14juillet, Greg et Sophie, établis à Los Angeles, doivent emménager dans l’appartement qu’ils viennent d’acquérir à Nice. Commechaqueété, ils sont venus assister au feu d’artifice. Le spectacle fini, Lola glisse sur sa trottinette, Greg est concentré derrièresonappareil photo quand, soudain, Sophiehurle : « Attention! Uncamion arrive! »
Sophie a juste le temps d’arracher Lola à la trajectoire du 19-tonnes. Mais celui-ci percute la trottinette, qui blesse Lola et projette la fillette contre Sophie. Gregcomprend aussitôt. Il a vu le tueur manipuler son volant, déterminé. Alors il se jette sur le côté. Mais ne peut empêcher le camion de lui déchirer la jambe droite. Combien de temps s’écoule alors? Une demi-heure, estime Greg. Moins, selon Marc. « Mais j’étaissous le choc et je perdais beaucoup de sang, se souvient la victime. J’avais très froid. J’étais en t-shirt, short et sandales. Je voyais les camions de pompiers s’ar- rêter à proximité, mais je n’essayais même pas de les appeler. J’étais effrayé. Paralysé. » Sophie et Lola ont disparu. Toutes deux sont à l’abri dans la villa Masséna voisine. « Des gens nous y ont amenées et barricadées, craignant une récidive » , raconte lamère de famille. Elle ne retrouvera Greg que le lendemain après-midi, après de longues heures d’angoisse.
Évacué en urgence
C’est alors qu’apparaît Marc. Le quadra niçois se trouvait au niveau de la pergola en face du Negresco avec Valérie. Il y a eu le bruit. Puis « le calme, un très grand calme. Comme si le temps s’était arrêté… »
Mupar ses réflexes de sapeur-pompier volontaire, Marcordonne à sa compagne et aux passants de se coucher au sol. « Quand les tirs ont cessé, j’ai regardé autour de moi. Il y avait des gens vivants, d’autres qui n’étaient malheureusement plus parmi nous. J’ai cherché à identifier ceux qui avaient le plus rapidement besoin d’aide, qui risquaient de décéder si on ne les évacuait pas sur-le-champ. » Marc repère Greg et sa jambe mutilée – « On lui a posé un garrot » . Il remarque aussi cette jeune Russe grièvement blessée. Parchance, sa Peugeot 307 est garée à deux pas. « Unpompier professionnel et le frère de Sophie m’ont aidé à embarquer tout le monde à bord. Je les ai aussitôt amenés à Pasteur, où j’étais le premier à déposer des blessés. J’ai juste eu le temps de leur dire “Préparez-vous, ça va arriver…” Et je suis reparti. » Marc effectue un autre aller-retour jusqu’à la place Masséna, d’où il évacue un jeune couple en détresse. Puis il rejoint le poste médical avancé qui se met en place au Palais de la Méditerranée, et enfile ses habits de sapeur-pompier. Du palace au High Club, il passera le reste de la nuit à secourir les blessés, au sein du PMA dirigé par le lieutenant-colonel Olivier Riquier.
Complicité entre rescapés
De son côté, Greg Krentzman est admisauservice traumatologie de l’hôpital Pasteur 2. Ilyrestera deux mois. Le temps de reconstituer son tibia victime de douze fractures et son talon déchiqueté. « Les médecins m’ont expliqué que si j’étais resté plus longtemps sur la chaussée, je serais mort… » Sa rééducation se poursuivra au centre Atlan-- tis de Nice. Là, il se liera d’amitié avec un autre rescapé: Gaetano Moscato, cet Italien amputé d’une jambe, qui avait remercié ses sauveurs dans nos colonnes. À mesure que Greg Krentzman retrouve le fil de la vie, il sent la nécessité d’une telle démarche. Mais lui aussi ignore tout de cet inconnu qui l’a évacué de l’enfer. C’est une infirmière du CHU Pasteur qui fait le lien entreson récit et celui de Marc Phalip. Similitudes confirmées par un patient d’Atlantis. Le frère de Sophie acquiesce en voyant la photo de Marc. Ne reste plus qu’à organiser les retrouvailles tant espérées… Chose faite désormais.
Le puzzle est complété
Pour l’occasion, Greg et Sophie ont convié Nice-Matin. Ce, afin de mettre à l’honneur cet homme providentiel. « Marc est mon héros, sourit Greg, ému, en lui tapotant affec
tueusement l’épaule. Je suis très reconnaissant qu’il ait décidé de s’arrêter pour moi et de me charger à bordde savoiture. C’est pour çaque je suis ici aujourd’hui. C’était très important pour moi de savoir qui il était et de le remercier, pour avancer pleinement dansmavie. Il manquait une pièce du puzzle. »
Héros? Sauveur? Marc, plutôtgêné, refuse ces étiquettes. « J’ai sauvé Greg… Mais je n’ai pas pu sauver cette jeune fille. Alors non, je ne peux pas vraiment dire que j’ai sauvé la vie. J’ai fait ce que j’ai pu. Je suis une personnecomme tout lemonde. Avec un coeur, c’est tout! Jesuis papa, ilaune fille… C’est une grande satisfaction de savoir qu’il pourra la voir grandir. » Hier soir, à la table du Cocodile, les deux familles sympathisent peu à peu, près de la pergola où leurs vies ont basculé pour le pire et le meilleur. Gregdonne rendez-vous à Marcsur Facebook, puis Los Angeles. Les rires fusent. La vie reprend ses droits. L’humanité a triomphé.
Commesi le temps s’était arrêté...” C’est grâce à lui que je suis là”