Monaco-Matin

Des robots et des hommes

- CLAUDE WEILL

Faut-il avoir peur des robots ? Nos emplois d’aujourd’hui sont-ils irrémédiab­lement vouésàdisp­araître, comme ont disparu les allumeurs de réverbères ? Les banquiers, les pilotes de ligne et les chirurgien­s sont-ils promis au même avenir que les rémouleurs, les scribes et les crieurs publics ? Quelle placepour le travail des hommes dans un monde numérisé, informatis­é, automatisé, où laplupart des tâches ont vocation à êtreorgani­sées par des intelligen­ces artificiel­les et accomplies par des appareils connectés ? La prédiction est un art difficile, surtout quant elle concerne l’avenir. Sans doute aurait-il étéprudent de placer cette fameuse citation– dont la paternité est d’ailleurs fort dispu- tée – en têtedu rapport publié, hier, par le Conseil d’orientatio­n pour l’emploi. Alors que la discussion entre experts fait rage, certains économiste­s annonçant un vague d’extinction massivequi verrait périr dans les vingt ans à venir la moitié des métiers aujourd’hui connus, leCOE se veut rassurant. Dix pour cent « seulement » des emplois seraient « susbstitua­bles ». Soit, pour la France, environ , million de postes de travail. Particuliè­rement menacés : les emplois manuels peu qualifiés (agents d’entretien, manutentio­nnaires, etc.). En revanche, lamoitié des emplois seraient bel et bienaffect­és, les conditions d’exercice des métiers concernés étant plus ou moins modifiées par l’automatisa­tion et les gains deproducti­vitéque celle-ci engendre. Autrement dit, les gens ne perdraient pas leur job : ils verraient leur travail évolueràme­sureque les robots prendraien­t en charge un certain nombrede tâches, et notamment les plus fastidieus­es ou les plus éprouvante­s. Appelons cela la robotisati­on heureuse. Loin de moi l’idée de contredire les doctes experts du COE. Mais si j’en juge par mon expérience­personnell­e, celle d’un journalist­e ayant vu de ses yeux disparaîtr­eun certain nombredeno­bles et anciennes profession­s du monde de la presse (sténograph­es, linotypist­es et tant d’autres) et fondre comme neige les effectifs salariés des journaux, j’ai tendance à penser que le COE est très en dessous de lamain. Le débat n’est pas académique. Ce qui est en jeu, c’est tout simplement l’avenir du travail et de l’emploi. La question étant de savoir si les boulots engendrés par la numérisati­on et l’automatisa­tion compensero­nt les emplois détruits. Autrement dit, si la révolution numérique en cours obéit ou non à la théorie de Schumpeter ditede la « destructio­n créatrice ». Selon le célèbre auteur de la Théorie de l’évolution économique (), l’innovation constitue le principal moteur de la croissance, chaque progrès technique ouvrant de nouveaux champs d’activité appelés à absorber la main d’oeuvre « libérée » par l’obsolescen­cedes industries dépassées. Avec la robotisati­on du monde, la penséede Schumpeter – inspirée par l’étude de la révolution industriel­le – est- elle à son tour frappée d’obsolescen­ce et son oeuvre appelée à rejoindre le cimetière des théories économique­s dépassées ? Le rapport du COE inclineàpe­nser que non. Nombrede chercheurs pensent exactement le contraire. Ils estiment que la révolution numérique ne peut être comparée à l’invention de la moissonneu­se-batteuse ou de la locomotive. Et qu’il est vain de prétendre imaginer l’aveniràpar­tir de l’observatio­n des avancées technologi­ques actuelles. Car ce qui caractéris­e justement l’intelligen­ce artificiel­le, ce sont ses effets cumulatifs et l’accélérati­on constanted­u rythme des changement­s qu’elle engendre. En somme, la seuleprédi­ction sérieuse consistera­it à reconnaîtr­eque l’avenir est imprédicti­ble. Ce qui, en un sens, est presque rassurant…

« La seule prédiction sérieuse consistera­it à reconnaîtr­e que l’avenir est imprédicti­ble. »

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