Des robots et des hommes
Faut-il avoir peur des robots ? Nos emplois d’aujourd’hui sont-ils irrémédiablement vouésàdisparaître, comme ont disparu les allumeurs de réverbères ? Les banquiers, les pilotes de ligne et les chirurgiens sont-ils promis au même avenir que les rémouleurs, les scribes et les crieurs publics ? Quelle placepour le travail des hommes dans un monde numérisé, informatisé, automatisé, où laplupart des tâches ont vocation à êtreorganisées par des intelligences artificielles et accomplies par des appareils connectés ? La prédiction est un art difficile, surtout quant elle concerne l’avenir. Sans doute aurait-il étéprudent de placer cette fameuse citation– dont la paternité est d’ailleurs fort dispu- tée – en têtedu rapport publié, hier, par le Conseil d’orientation pour l’emploi. Alors que la discussion entre experts fait rage, certains économistes annonçant un vague d’extinction massivequi verrait périr dans les vingt ans à venir la moitié des métiers aujourd’hui connus, leCOE se veut rassurant. Dix pour cent « seulement » des emplois seraient « susbstituables ». Soit, pour la France, environ , million de postes de travail. Particulièrement menacés : les emplois manuels peu qualifiés (agents d’entretien, manutentionnaires, etc.). En revanche, lamoitié des emplois seraient bel et bienaffectés, les conditions d’exercice des métiers concernés étant plus ou moins modifiées par l’automatisation et les gains deproductivitéque celle-ci engendre. Autrement dit, les gens ne perdraient pas leur job : ils verraient leur travail évolueràmesureque les robots prendraient en charge un certain nombrede tâches, et notamment les plus fastidieuses ou les plus éprouvantes. Appelons cela la robotisation heureuse. Loin de moi l’idée de contredire les doctes experts du COE. Mais si j’en juge par mon expériencepersonnelle, celle d’un journaliste ayant vu de ses yeux disparaîtreun certain nombredenobles et anciennes professions du monde de la presse (sténographes, linotypistes et tant d’autres) et fondre comme neige les effectifs salariés des journaux, j’ai tendance à penser que le COE est très en dessous de lamain. Le débat n’est pas académique. Ce qui est en jeu, c’est tout simplement l’avenir du travail et de l’emploi. La question étant de savoir si les boulots engendrés par la numérisation et l’automatisation compenseront les emplois détruits. Autrement dit, si la révolution numérique en cours obéit ou non à la théorie de Schumpeter ditede la « destruction créatrice ». Selon le célèbre auteur de la Théorie de l’évolution économique (), l’innovation constitue le principal moteur de la croissance, chaque progrès technique ouvrant de nouveaux champs d’activité appelés à absorber la main d’oeuvre « libérée » par l’obsolescencedes industries dépassées. Avec la robotisation du monde, la penséede Schumpeter – inspirée par l’étude de la révolution industrielle – est- elle à son tour frappée d’obsolescence et son oeuvre appelée à rejoindre le cimetière des théories économiques dépassées ? Le rapport du COE inclineàpenser que non. Nombrede chercheurs pensent exactement le contraire. Ils estiment que la révolution numérique ne peut être comparée à l’invention de la moissonneuse-batteuse ou de la locomotive. Et qu’il est vain de prétendre imaginer l’aveniràpartir de l’observation des avancées technologiques actuelles. Car ce qui caractérise justement l’intelligence artificielle, ce sont ses effets cumulatifs et l’accélération constantedu rythme des changements qu’elle engendre. En somme, la seuleprédiction sérieuse consisterait à reconnaîtreque l’avenir est imprédictible. Ce qui, en un sens, est presque rassurant…
« La seule prédiction sérieuse consisterait à reconnaître que l’avenir est imprédictible. »