Défaitemode d’emploi
Comment perdreune élection? Il y a quelque chose de fascinant à voir comment le Parti socialiste et Les Républicains, soudain saisis par une sorte de vertige du chaos, s’emploient à rater leur campagne et à dérouler le tapis rouge à celle que l’un et l’autredésignent pourtant commele dangermajeur: Marine Le Pen. Le scénario est si bien conçu qu’on pourrait en tirer un véritable vade-mecum de la défaite. Vous voulez perdre? . Faites des primaires. Mal adaptée à la culture politique française (plus portée à laquerelle qu’au consensus), cette procédureapour effetmécanique d’attiser les divisions en gonflant les ego et les désac- cords. Mieux: s’adressant en priorité aunoyau dur de chaque camp, leplus mobilisé, elle favorise les candidatures les plus radicales, au détriment de celles qui auraient permis de ratisser plus large. Les primaires ouvrent ainsi un boulevard au centre, qu’il faudra ensuite tenter de colmater par tous les moyens. Nous y reviendrons. Notons simplement ici que ce système de sélection, supposé rassembler la gauche et la droitederrière leurs champions respectifs, a si bien réussi que les deux candidats les mieux placés, à ce jour, pour accéder au second tour ne sont justement pas passés par une primaire. Cherchez l’erreur… . Faites des primaires leplus tardpossible (ici, c’est le PS, longtemps paralysépar l’indécision de Hollande, qui a le pompon). Plus il seradésigné tard, plus le vainqueur, sorti usé d’une pré-campagne éprouvante, risquerad’être piégé par le calendrier. Pas de répit. Il n’auraque quelques jours pour lancer la machine: pacifier son camp, mettre la logistique en place, installer son image dans l’opinion, affûter ses thématiques. Et surtout ajuster son programme, car commeFillon l’a constaté à ses dépens (avant même le démarrage de l’« affaire »), on ne s’adresse pas à l’ensemble du corps électoral comme on parle aux siens. Là surgit un autrepiège. Ou bien vous refusez demodifier votre ligne: ondiraque vous tournez en rond, que vous êtes sourdaux propositions de vos alliés. Oubien vous avancez des idées nouvelles: vous passerez pour unopportuniste, unegirouette. . Trompez-vous d’ennemi. C’est très facile. Car en politique, il y a une loi: l’adversaire prioritaire, celui sur qui il faut taper, cen’est pas celui qui est à l’autrebout de l’échiquier; c’est le voisin immédiat, le concurrent, celui avec lequel onaune frontière commune et des parts de marchéàdisputer. C’est pourquoi Mélenchon tape sur Hamon, Hamon sur Macron, Fillon sur Macron, etc. D’ailleurs, tout lemonde tape sur Macron. Même Bayrou: le centre, c’est lui; le ni-ni, sa marque déposée. Au fond, tout se passe commesi les prétendants, déjà résignés à voir Marine le Penarriver en tête le avril, ne s’entre-déchiraient plus que pour la deuxième place. Au risque de compromettre le report des voix sur celui qui restera en piste, plus oumoins cabossé. Résultat de cette fine stratégie: tandis que ses rivaux font du yo-yo, la candidate du FN plane dans les sondages, et personne ne va vraiment la chercher, ni sur son programme, ni sur le flou de sa stratégie (quelle majorité, quel gouvernement?), ni sur les « affaires » qui la cernent. Dans ce « personne », on peut d’ailleurs englober la presse. Jamais celle qui se pose si volontiers en victime du « système » n’avait été autant ménagée par les médias, dont l’attention (à quelques exceptions près) est monopolisée par le FillonGate et– nouvelle vogue éditoriale – le supposé « vide » duprogramme de Macron. Tout cela commence à ressembler furieusementàune certaine élection américaine où l’on n’avait d’yeux quepour le duel Sanders-Clinton, les mails d’Hillary, le malaised’Hillary: contrairementàune idée reçue, ces épisodes ont suscité bien plus de débats et d’articles que les foucades de l’improbable Donald T, àqui l’on n’accordait pas la moindre chance…
« Mélenchon tape sur Hamon, Hamon sur Macron, Fillon sur Macron, etc. »