La campagne introuvable
« La campagne se cherche des candidats dont la voix ne porte pas, ouplutôt qui semblent se parler à eux-mêmes. »
Àdeux mois de l’électionprésidentielle, nous vivons une situation proprement inouïe. En tout cas sans précédent. En , à pareille époque, la cristallisation s’était déjà faite. On avait – sauf coup de théâtreàvenir, qui n’apas eu lieu – l’ordred’arrivée ( Hollande, Sarkozy) et un solide pronosticpour le second tour. Rien de tel cette fois-ci. Nousn’avons pas encore lecasting définitif. François Bayrou entretient le suspense– àmoins qu’il ne chercheàhabiller sa propre indécision. La gauche, ouplutôt les différentes familles issues de la gauche de la gauche qui prétendent incarner et rassembler la gauche, continue de rêver sans trop y croireàune improbable candidaturecommune qui lui donnerait quelques chances d’accéder au second tour. Et l’opinion, tournebouléepar les polémiques et le carrousel des affaires, assiste interdite, hésitante, àune campagnequi semble n’avoir pas encorevraiment commencé alors qu’elle est si près de s’achever. Les sondeurs n’avaient jamais vuça : à J - , le taux d’indécision, chez les électeurs, ne régresse pas, il augmente! Ils sont plus nombreux qu’ilyaquelques semainesànepas savoir pour qui ils vont voter, nimême s’ils vont voter! C’est qu’ordinairement, une campagne se résume plus ou moinsàunaffrontement entre le sortant et celui que l’oppositions’est donné commeleader. Rien de tel cette fois-ci. L’effacement de François Hollandeet la mise en cause de la probitédecelui qui était sorti en triomphe de la primaire de droiteont aboli tous les repères. La situation est liquide, gazeuse. La gauche cherche son champion, éprouvant jour après jour la justesse de lamaximeattribuée àNapoléon, selon laquelle il n’est rien de pireque d’avoir trois généraux. L’inédit, c’est que lagauche de gouvernement – en tout cas celle qui gouverne– est tout simplement absenteduscrutin. Éliminée par laprimaire, elle laisse ses électeurs dans labizarreposition de devoir choisir entre deux opposants venus de la gauche de la gauche et un ex-dauphin entréendissidence. La droite, elle, abien un champion, mais elle n’est plus très sûred’avoir fait le bon choix. Dans ces conditions, onpourrait imaginer que la bataille pour la conquête des indécis fait rage. Pasdu tout. La campagneest introuvable. Elle se cherche. Undébat sans axes, sans point d’ancrage, sans thèmes structurants. Et des candidats dont la voix ne portepas, ou plutôt qui semblent se parler à eux-mêmes ou entre eux plutôt qu’ils ne s’adressent au pays. François Hamons’enva chercher au Portugal la martingale perdue de la gauche plurielle et s’englue dans d’obscures et lassantes négociations d’états-majors. Jean-Luc Mélenchon, tout à son obsession de plumer la volaille socialiste, s’enferme dans un rôle d’imprécateur qui ravit ses fans autant qu’il décourage les réticents. EmmanuelMacron, alternant les audaces et les repentirs, perdbien trop de temps et d’énergie à corriger et raturer ses discours dansune sorte de dialogue avec lui-même. François Fillonn’en finit plus de se dépêtrer d’une affairequi brouille son message et lui colle aux doigts commele sparadrap du capitaineHaddock. Jusqu’àMarine Le Penqui se voit à son tour rattrapée par de sombreshistoires d’emploi fictif etsommée de s’expliquer sur les étranges pratiques de son petit système anti-système. Étonnez-vous que les Français soient perplexes et indécis ! Ils aimeraient bien que l’on s’intéresseàeux, à leurs problèmes, à leur avenir. Plutôt que d’être convoqués pour trancher des débatshistoriques sur la colonisation, arbitrer la bataille pour le leadershipde lagauche, oupour jouer les juges d’instruction chargésdedémêler le vrai du faux, le légal de l’illégal. Et si onsemettait enfin à fairede lapolitique?