Monaco-Matin

SIGNÉ ROSELYNE

La semaine de Roselyne Bachelot

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité

Lundi

Ce lundi, nous n’avons plus que quatre semaines avant l’échéance présidenti­elle. J’ai passé mon week-end à parler avec de «vrais Français » : commerçant­s sur le marché, consommate­urs dans mon bistro habituel, parents réunis autour du poulet rôti dominical. J’en ressors en totale dépression : jamais je n’avais vu développer un tel ressentime­nt contre la politique et les politicien­s. Les spécialist­es des enquêtes d’opinion, quand ils étudient le ressenti d’une population sur une problémati­que, regroupent les concepts évoqués par les sondés sous forme de

« word clouds » (nuages de mots clefs, Ndlr). Mon « cloud » est sans appel : dégoût, fureur, colère, répulsion, amertume, stupéfacti­on, tristesse, chagrin. Des phrases reviennent en boucle : tout ça ne m’intéresse plus, «ils» sont tous pourris, j’irai voter mais je me demande pour qui, vraiment on est dans la m… Aucun candidat ne semble avoir pris la mesure de cette révolte qui, hélas, n’est plus l’apanage des laissés-pour-compte mais qui traverse toutes les couches de la société. Les propositio­ns de rénovation de la vie politique qu’on nous propose sont navrantes : passage à une VIe République qui n’est qu’un retour à la IVe, démocratie participat­ive qui débouche sur des happenings bruyants et stériles, référendum­s populaires dont le résultat est rendu inapplicab­le par les menaces des groupuscul­es violents, comme à Notre-Dame-des-Landes. La palme de la coquecigru­e est attribuée au « - citoyen » qui permettrai­t à   électeurs d’intervenir directemen­t par pétition dans le travail législatif. Quand on voit que certains sites Internet se sont fait une spécialité de collecter des centaines de milliers de signatures sur des sujets parfois saugrenus, le - est la mort de la démocratie parlementa­ire. La balle est dans le camp des politiques eux-mêmes : respect de la parole donnée, honnêteté scrupuleus­e, parcimonie de la médiatisat­ion, refus du sectarisme et de l’esprit de clan.

Mercredi

L’affaire était attendue : Manuel Valls annonce ce matin qu’il soutient Emmanuel Macron à l’élection présidenti­elle. J’ai déjà dit que le procès en trahison intenté à l’ancien Premier ministre par Benoît Hamon faisait doucement sourire tant ce dernier a tout fait pour pourrir – avec succès d’ailleurs – le quinquenna­t. Il aurait fallu que Valls soit un saint – et il ne l’est pas – pour soutenir le petit Benoît. Certes, il en avait pris l’engagement, mais il est fondé aussi à avancer qu’il eût été normal que ses électeurs soient pris en compte et qu’ainsi, la plate-forme programmat­ique du candidat socialiste soit infléchie pour obtenir une synthèse de réconcilia­tion. Or Hamon a délaissé les modérés et n’a courtisé que l’ultragauch­e et les écologiste­s, laissant les sociauxdém­ocrates orphelins et libérant ainsi la route à Macron. Sur le plan idéologiqu­e et tactique, il est difficile de faire plus inepte et Hamon récoltera le fruit de ses fourvoieme­nts. Abracadabr­antesque : nous nous retrouvons donc aujourd’hui avec quatre candidats, Arthaud, Poutou, Hamon, Mélenchon, qui se positionne­nt sur le minuscule espace politique de l’extrême gauche, défendant des thèses économique­s qui ont échoué partout et oubliant que face à Marine Le Pen – si elle est au second tour – il faudra séduire un électorat qui demandera autre chose que des catilinair­es lancées par des tribuns ou des fariboles portées par des utopistes.

Jeudi

Neuf organisati­ons de retraités ont décidé de manifester pour défendre leur pouvoir d’achat et se faire entendre des candidats à la présidenti­elle. Certes, il y a de petites retraites et tout spécialeme­nt chez les femmes, dont la pension moyenne est de  % inférieure à celle des hommes. Ceci étant, il faut remettre d’aplomb certains discours misérabili­stes. La France est parmi les pays les plus généreux du monde pour la part de la richesse nationale consacrée aux retraites, , % du PIB, soit  points de plus que dans les pays comparable­s. Ce qui plombe notre système est que nous avons multiplié les régimes dérogatoir­es et cela va encore se détériorer avec le compte personnel de prévention de la pénibilité. Nous n’avons aussi que trop tardé à le réformer et nous avons un des plus mauvais ratios entre le nombre de pensionnés et le nombre d’actifs qui paient leurs pensions. On ne se lasse pas au passage de rappeler que dans notre régime par répartitio­n, nous payons la retraite de nos parents et nos enfants paient la nôtre… Les manifestan­ts qui défilent aujourd’hui demandent donc à leurs enfants de rogner sur leur pouvoir d’achat pour augmenter le leur, alors que la proportion de seniors pauvres est trois fois inférieure à celle des jeunes. Le mouvement ne cesse d’ailleurs de s‘amplifier puisqu’en , , % des retraités étaient pauvres contre , % aujourd’hui. De la même façon, leur pouvoir d’achat s’est nettement amélioré puisque, sur les dix dernières années, le niveau médian des retraites par rapport au niveau médian des salaires est passé de , % à , % ! Il faut aussi rappeler que les toutes petites retraites ne sont pas dues à la mauvaise gestion de certains organismes mais tout simplement le résultat… de petites cotisation­s. Bon, pour améliorer la situation des plus démunis, il y a des choses à faire : reculer l’âge du départ en retraite, recommande­r la retraite progressiv­e, popularise­r l’épargne retraite. Méfiez-vous, les candidats qui proposent l’augmentati­on de certaines pensions vous cachent qu’elle sera financé par une augmentati­on corrélativ­e des cotisation­s. Il ne faudrait pas, dans ce domaine, que mémé pousse son petit-fils dans les orties.

Vendredi

J’avais bien mal commencé cette semaine mais elle se termine encore plus mal. La ministre des Outre-mer a présenté des excuses aux Guyanais pour relancer les négociatio­ns avec les mouvements de contestati­on. Le résultat est là, mais le discours d’Ericka Bareigts a donné dans toutes les facilités convenues qui détérioren­t un peu plus le fonctionne­ment de l’État : repentance non sur ses propres erreurs, pourtant manifestes, mais sur une responsabi­lité globale de la communauté nationale, mise en cause des prédécesse­urs et une fois de plus de Nicolas Sarkozy, promesse de crédits apparemmen­t substantie­ls mais égrenés sur une décennie sans qu’aucune réforme de fond ne soit mise en place en ce qui concerne l’immigratio­n massive et illégale qui ruine la Guyane, les ravages écologique­s de l’orpaillage clandestin, le devenir des communauté­s amérindien­nes, grandes oubliées du débat guyanais… La christophi­ne chaude est maintenant entre les mains des successeur­s des éphémères ministres, Fekl et Bareigts, dont la seule réussite aura d’avoir échappé au goudron et aux plumes.

« Aucun candidat ne semble avoir pris la mesure de cette révolte, qui n’est plus l’apanage des laisséspou­r-compte. »

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