Un marin de Six-Fours a-t-il
Il est bien mort d’un coup de feu lors de la célèbre bataille de Trafalgar en 1805. Mais le Varois, qui a affirmé en être l’auteur, avait tout inventé.
Le 2 avril est généralement le jour où l’on désamorce les canulars de la veille. Tout le monde rit et l’on passe à autre chose. Les farces concernant l’actualité sont vite oubliées. Mais, il peut arriver que certaines impostures aient la vie dure. Qu’elles se transforment en contre-vérités historiques et sont toujours crues un siècle après. En voici une. Elle concerne la célèbre bataille de Trafalgar. Cette bataille navale, qui s’est déroulée le 21 octobre 1805 au large des côtes espagnoles, près du détroit de Gibraltar, fut remportée par la marine anglaise commandée par l’amiral Nelson, contre la marine française de Napoléon Ier, commandée par le vice-amiral Pierre-Charles de Villeneuve, partie du port de Toulon le 29 mars précédent. La marine française, alliée à la flotte espagnole, était pourtant en supériorité numérique. Mais Nelson utilisa une tactique audacieuse, consistant à foncer au centre pour séparer la flotte ennemie en deux parties. Lancés au coeur de la mêlée, les Anglais firent des ravages, causant la perte de plus de 4 000 hommes et 23 navires. Les Anglais, eux, perdirent 400 hommes. Et, parmi eux, le plus célèbre, l’amiral Nelson en personne.
Le corps de Nelson dans un tonneau d’eau-de-vie
Malgré la mort de leur chef, les Anglais célébrèrent glorieusement cette victoire, donnant à l’une des principales places de Londres le nom de Trafalgar square. En revanche, en France, on parla comme d’une humiliation du « Coup de Trafalgar ». Voilà comment les choses se sont passées. À quatre heures du matin, après avoir écrit son testament, l’amiral Nelson dispose sa flotte sur deux files, vent arrière, et donne l’ordre d’attaquer. Il se trouve en première ligne, surveillant lui-même les opérations depuis le pont de son bateau le Victor y. Villeneuve, lui, est à bord du Bucentaure .Le Victory se trouve
rapidement à côté du Bucentaure et l’attaque à bout portant. Le navire français est considérablement endommagé. Derrière lui, le Redoutable surgit à son secours. Un boulet tiré du Redoutable atteint John Scott, le secrétaire de Nelson, et le tue. Une canonnade d’une rare violence s’engage. Le bruit est assourdissant, les fumées aveuglantes. Des deux côtés, des marins s’effondrent sur le pont, tombent à l’eau. Peu après 13 heures, c’est Nelson lui-même qui est touché. Il est grièvement blessé. On le transporte sur le pont inférieur. Son chirurgien William Beatty le prend en mains. Pressentant qu’il va mourir, Nelson demande que l’on prenne soin de sa fille Emma. L’aumônier Alexander Scott est à ses côtés. Nelson meurt peu après 16 heures 30. Son corps est placé dans un tonneau d’eau-de-vie afin d’être conservé et de respecter son souhait de ne pas le jeter à la mer, comme il est de coutume pour les marins décédés. Le tonneau sera ramené à Londres, attaché au mât principal du Victory. L’amiral sera enterré en la cathédrale Saint-Paul. Aussitôt après les obsèques, une enquête commence : qui a tué l’amiral Nelson ? De manière évidente, le tireur se tenait sur le Redoutable, au milieu de la fumée de la canonnade. Les Anglais interrogent leurs prisonniers un à un. En vain. La marine française questionne ses propres hommes. En vain également. Napoléon voudrait pourtant savoir à qui revient l’honneur d’avoir tué son principal ennemi. Aucun résultat. Les années passent. En 1815, le Premier empire s’effondre. Toujours rien. Et voilà qu’en 1826 paraît un livre : les Mémoires de Robert Guillemard, sergent à la retraite. L’ouvrage est écrit par un marin né à Six-Fours dans le Var. L’auteur révèle : « C’est moi qui ai tué l’amiral Nelson ! » L’information fait l’effet d’une bombe. On s’arrache les deux tomes de l’ouvrage et l’on découvre la vie d’un jeune conscrit de 1805, élevé dans le port varois, qui s’est embarqué à Toulon avec la flotte de Villeneuve et s’est retrouvé à Trafalgar.
Une vie de héros
Au moment de l’attaque, il « était juché sur la hune du mât d’artimon » du Redoutable. Il repéra sur l’arrière du vaisseau anglais, un « officier couvert de décorations, et n’ayant qu’un bras »( lire en encadré, page suivante). Il reconnut la silhouette de l’amiral Nelson, qui, en effet, avait été amputé d’un bras. Il tira et, l’instant d’après, le vit s’effondrer. Il fut fait prisonnier, se lia par la suite avec l’amiral Villeneuve, dont il devint le secrétaire. Il assista à son assassinat à Rennes le 22 avril 1806, peu après avoir été libéré par les Anglais.