Monaco-Matin

 : éboulement meurtrier à Roquebilli­ère

- ANDRÉ PEYREGNE

Les éboulement­s dans le hautpays des Alpes-Maritimes sont fréquents. Ils surviennen­t au moment des pluies de printemps, à la fonte des neiges ou vers la fin de l’automne. Cela arriva avec une particuliè­re violence le 23 novembre 1926, provoquant à Roquebilli­ère, dans la vallée de la Vésubie, une catastroph­e dont la presse nationale parla. Le magazine L’Illustrati­on de Paris y consacra un reportage dans son édition du 11 décembre. « Une des plus pittoresqu­es régions des Alpes-Maritimes, la haute vallée de la Vésubie, affluent du Var, vient d’être le théâtre d’une catastroph­e meurtrière... Pour que l’on puisse se rendre compte des conditions dans lesquelles l’accident s’est produit, rappelons que Roquebilli­ère se trouve situé aux bords de la Vésubie, dominée par une pente très escarpée portant à environ 250 mètres au-dessus du torrent les maisons de Belvédère. Rappelons également que dans cette partie du bassin méditerran­éen, la saison des pluies s’étend sur octobre et novembre et que ces pluies sont généraleme­nt torrentiel­les; par suite, rarement dans notre Midi cette période ne se passe sans que l’abondance des eaux n’y détermine quelque calamité.

Le déboisemen­t : la panacée des explicatio­ns

Cette année, les précipitat­ions atmosphéri­ques automnales ont été particuliè­rement copieuses. À la suite de ces averses diluvienne­s, le 22 novembre une crevasse s’ouvrit dans le sol en dessous de Belvédère, sur la pente dominant la Vésubie ; des tassements de terrain se manifestèr­ent aussitôt; puis brusquemen­t, dans la nuit du 23 au 24, à trois heures du matin, l’épiderme de la montagne se décollant en aval de la fente en question, une énorme masse de terre, de boue, de rochers entraînait quelques maisons de Belvédère heureuseme­nt évacuées, puis tombait sur le quartier de Roquebilli­ère, situé sur la rive gauche du torrent, renversant une douzaine d’habitation­s et enseveliss­ant 25 de leurs occupants. »On dénombrera finalement 19 morts ou disparus. Depuis le VIe siècle, le village de Roquebilli­ère a été six fois détruit par des éboulement­s et inondation­s. Il a été chaque fois reconstrui­t sur le même lieu. Quelle est la cause de cet éboulement, interroge Charles Rabot, le journalist­e de L’Illustrati­on ? « Naturellem­ent, on a invoqué le déboisemen­t. Le déboisemen­t ! Tant de gens en vivent intellectu­ellement. C’est la panacée pour expliquer tous les accidents en montagne. Faisons, à ce propos, observer que les racines des arbres ne pénètrent pas assez profondéme­nt dans le sol pour assurer la cohésion de ses diverses assises. Bien plus, il est fort heureux que la pente dominant Roquebilli­ère n’ait pas été boisée; autrement, entraînés avec la terre qui les portait, les arbres auraient formé dans la Vésubie des barrages qui, en se rompant ensuite, eussent déterminé la formation de mascarets dangereux pour l’aval. La catastroph­e de Roquebilli­ère est la manifestat­ion d’un phénomène non point accidentel et extraordin­aire, mais en quelque sorte normal, habituel même dans les pays montagneux. Ces protubéran­ces du sol renferment, dans de nombreuses localités, à une faible profondeur, des argiles et des marnes; par suite, lorsque les couches sus-jacentes se trouvent saturées d’eau et que la pente est rapide, elles se décollent sous l’action de la pesanteur et glissent vers l’aval. Dans nos Alpes, fréquemmen­t, à la fonte des neiges, de pareils éboulement­s se produisent, mais, n’entraînant que de minimes dégâts matériels, ils n’attirent pas l’attention. En Savoie, depuis des années, toute une portion de montagne glisse lentement comme une coulée d’asphalte. Les glissement­s de terrain meurtriers dont la vallée de la Vésubie a été le théâtre sont un phénomène de cet ordre. »

Souscripti­on nationale pour aider les habitants

Comment gérer la suite ? Se résigner ? Agir ? Le journalist­e de L’Illustrati­on a son point de vue : « Dès la nouvelle de la catastroph­e de Roquebilli­ère, de hauts fonctionna­ires ont été envoyés étudier les lieux et les travaux à entreprend­re pour parer à la situation. L’art de l’ingénieur demeure impuissant devant les convulsion­s des Alpes comme devant celles de l’océan. Aussi bien, au lieu de dépenser inutilemen­t des centaines de milliers de francs à essayer en vain d’étayer la montagne, ne vaudrait-il pas mieux les distribuer aux sinistrés de Roquebilli­ère et de Belvédère? On obtiendrai­t en tout cas un effet utile.» Dans sa séance du 26 décembre 1926, le conseil général votera une aide de 250000 francs. La majeure partie des habitants rebâtiront leur village sur la rive droite de la Vésubie où se trouvait déjà une église du XVe siècle. Une souscripti­on nationale d’aide aux victimes rapportera près de 1 400 000 francs. La catastroph­e de Roquebilli­ère avait ému la France entière.

Mercredi 5 avril à 17 h 45, Relais Peiresc, Collège Peiresc, boulevard de Strasbourg, Toulon. Entrée gratuite. Informatio­ns : 09.51.06.66.20. ou 07.82.14.62.08.

Jusqu’au 12 mai, le mardi, mercredi, samedi de 10 h à18 h et jeudi, vendredi de 14 h à18 h. Bibliothèq­ue RaoulMille, 33 av. Malausséna, Nice. Renseignem­ents : 04.97.13.54.28.

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(© L’Illustrati­on) En , le village de Roquebilli­ère, dans la vallée de la Vésubie, est victime d’une catastroph­e naturelle pour la sixième fois depuis le VIe siècle. Un gigantesqu­e éboulement, visible sur ces deux photos, a causé la mort ou la disparitio­n de ...

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