Monaco-Matin

«La France peut se retrouver devant un tournant »

Le président de l’Institut français des relations internatio­nales, Thierry de Montbrial ,aété invité par Monaco Méditerran­ée Foundation pour évoquer la campagne électorale française

- JOELLE DEVIRAS

Thierry de Montbrial a une vision de l’intérieur et en même temps le regard éloigné. Le fondateur et président de l’Institut français des relations internatio­nales (Ifri) vient d’animer une conférence sur le thème « Élection et politique étrangère de la France ». La rencontre a eu lieu à l’Hermitage, pour la Monaco Méditerran­ée Foundation présidée par Enrico Braggiotti. Quelques jours avant le premier rendez-vous des Français dans l’isoloir, Thierry de Montbrial analyse les postures et positionne­ment des principaux candidats. « Marine le Pen à toutes les chances d’être la première en score le 23 avril. Elle pourrait même l’emporter au second tour. » Quant à l’élection de François Fillon, selon Thierry de Montbrial, elle est « peu probable ». « Ce n’est pas tellement les programmes qui comptent. Je regarde les basic instincts.» Le président de l’IFRI s’est donc attaché davantage aux tempéramen­ts et aux filiations qu’aux programmes. Parmi les cinq “principaux” candidats, il distingue deux groupes. Ceux qui sont « dans le système », et ceux qui sont en rupture.

Fillon, Macron : dans le système

«Deux candidats sont essentiell­ement dans le prolongeme­nt des soixante dernières années: Fillon et Macron. Avec des nuances certes. François Fillon, assez gaulliste, a la réflexion la plus aboutie. Il n’a pas seulement réfléchi à ses costumes mais aussi à ses programmes. Assez gaulliste, il a la vision d’une Europe qu’il faut corriger; ce ne veut pas dire être conservate­ur. Emmanuel Macron, lui, a la vision d’un centriste de gauche. Il veut maintenir l’UE et l’Alliance atlantique par un dialogue ouvert mais exigeant. On ne peut pas lui en vouloir considéran­t son âge. » Dans le groupe des trois autres, « le cas d’Hamon est intéressan­t. Il est politiquem­ent correct sur l’UE et l’Alliance atlantique ; en dehors de l’épure du point de vue économique. Il y a une incompatib­ilité. » Et de plaisante: «Ses basic instincts sont tragiqueme­nt mauvais. Sans doute serait-il le premier surpris s’il devait être élu. Après tout, dans ce monde un peu fou, n’importe quoi peut arriver!»

Marine Le Pen «veut être élue »

Comme Georges Marchais en son temps, Jean-Luc Mélenchon est vu par Thierry de Montbrial comme «un personnage». Si le secrétaire général du parti communiste français était si populaire, c’est « parce qu’il n’avait aucune chance d’accéder au pouvoir. Si d’aventure nous nous trouvions dans une situation où les chances de Mélenchon étaient réelles, nous le trouverion­s nettement moins sympathiqu­e.» Mais avec le candidat de « La France insoumise », ce serait « retrait de l’UE, de l’OTAN, sortie de l’euro et protection­nisme ». Thierry de Montbrial regarde avec beaucoup plus de sérieux et de crainte le parcours de la candidate du Front national. « Elle est très forte et redoutable­ment efficace. Or, les Français votent pour des personnali­tés. Instinctiv­ement, elle veut une France seule. Mais elle est en train de nuancer ses positions sur l’Europe et l’Alliance Atlantique. En ce sens, on peut dire qu’elle a mis un peu d’eau dans son vin car, contrairem­ent à son papa, elle veut être élue. Elle cherche donc à adoucir son langage. » Alors qui pourrait l’emporter? Thierry de Montbrial a bien une idée mais insiste aussi sur tous les possibles de cette folle campagne. « Nous pouvons nous retrouver devant un véritable tournant. La question de la survie de l’UE est clairement en jeu. C’est la première fois que la possibilit­é de rompre avec cet ordre post-guerre mondiale est ouvertemen­t évoquée. » Car, du fait « d’une révolution technologi­que non maîtrisée et à la mondialisa­tion », du fait de « l’explosion des rémunérati­ons des dirigeants reléguant les chefs d’État au rang de vassaux», «l’ensemble des démocratie­s libérales se trouve en profond désarroi.» Et les paradoxes s’enchaînent : « Après Berlusconi en Italie, c’est un chef d’entreprise richissime que l’on a élu aux États-Unis. » Et peut-être le mois prochain, ce sera le tour de la France avec «le jeune Macron, produit de l’élite »… Savoir + À lire Notre intérêt national : quelle politique étrangère pour la France ?, par Thierry de Montbrial et Thomas Gomart.EditionsOd­ileJacob,janvier201­7.Prix:24,90 euros.

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(Photo Jean-François Ottonello) Thierry de Montbrial était l’invité de la Monaco Méditerran­ée Foundation, lundi  avril, à l’Hermitage.

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