Monaco-Matin

Le moment Poutou

- Par CLAUDE WEILL

« En quelques phrases gouailleus­es, le portevoix de NPA venait de réveiller le sans-culotte qui sommeille au coeur de chaque Français. »

Dans le brouhaha du « grand débat », ce fut comme un coup de cymbale. « Un moment de télévision », comme on dit ? Non, un moment de réalité. L’irruption d’un réel brut de décoffrage dans la mise en scène bien ordonnancé­e du match des onze. On se souviendra de cette séquence-là après que les tréteaux de la campagne auront été démontés. En l’espace de deux minutes, Philippe Poutou, l’homme au polo déboutonné (et non un « marcel », comme l’a écrit Luc Ferry dans un tweet offusqué qui vaudra au philosophe d’être la risée des réseaux sociaux), passa à la sulfateuse un François Fillon estomaqué par tant d’impudence, avant de clouer Marine Le Pen d’une répartie digne d’Audiard, de celles qu’on n’apprend pas dans les séminaires de communicat­ion : « Nous quand on est convoqué par la police, on n’a pas d’immunité ouvrière ! » Il se produisit alors une chose étonnante : de gauche à droite, toute la salle, composée de supporteur­s triés sur le volet, applaudit spontanéme­nt (partisans de Marine Le Pen mis à part, bien sûr). Je jurerais qu’au même moment, dans les cafés ou devant les téléviseur­s familiaux, des millions de Français ont applaudi à l’unisson – jusque dans les foyers lepénistes, peut-être? Et je ne serais pas surpris que d’ici quelques jours, on voit décoller dans les sondages ce candidat à part, que la radicalité de son programme semble assigner à la cote  %. En quelques phrases gouailleus­es, le porte-voix de NPA venait de réveiller le sans-culotte qui sommeille au coeur de chaque Français. Il y avait du Robespierr­e là-dedans. Mais un robespierr­isme railleur, rigolard même. Avec son parler titi, son passé d’anar soixante-huitard, Philippe Poutou incarne, dans la lignée de Besancenot, le post-trotskisme version copain. Révolution­naire mais cool. C’était Gavroche sur sa barricade, l’ouvrier Albert de la révolution de , les manants envahissan­t le château. Une insolence assumée. Une parole brute, « cash », qui soudain faisait paraître celle des autres terribleme­nt formatée, y compris ceux qui n’ont que le mot « peuple » à la bouche. Car les mots de Poutou n’étaient pas ceux du populisme : c’étaient ceux du peuple. Des mots de tous les jours, les mots des gens. Pas besoin d’être trotskiste pour les entendre. Le moment Poutou en dit plus que dix colloques sur le divorce entre la France d’en bas et la France d’en haut, la défiance envers les élites, ce sentiment qu’ont les milieux populaires de n’être plus ni compris, ni représenté­s. Cette fracture civique qui explique que tant de citoyens, à quelques jours du scrutin, ne savent toujours pas pour qui ils vont voter, ni même s’ils vont voter. Parce qu’aucun des candidats ne les convainc. Ou parce qu’ils ne les écoutent même plus... Le problème est vieux comme la démocratie, ce « pire des régimes à l’exclusion de tous les autres ». Ce système qui consiste à donner la parole au peuple pour la lui reprendre aussitôt. Cela s’appelle la démocratie représenta­tive et on n’a toujours pas trouvé mieux. Mais elle a un prix : le fossé qui inévitable­ment se creuse entre gouvernant­s et gouvernés, et avec le temps dégrade la confiance en défiance. On en dissertait déjà au siècle de Périclès. Ces temps-ci, les choses se sont beaucoup aggravées. Les échecs et les turpitudes des élus n’y sont pas pour rien. C’est cette vérité-là que Poutou a jetée à la face de ses interlocut­eurs d’un soir. Lui, au fond, ce n’est pas tellement son problème. Il n’a pas l’ambition de devenir Président. Il est du côté de la rue et il entend y rester. Il n’a même pas voulu poser pour la photo de groupe. Mais aux autres, les « grands » candidats, ceux qui concourent pour la gagne, il a lancé un message qu’ils seraient bien inspirés de méditer : dans « président de la République », il y a République.

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