Monaco-Matin

Buisson, le tambourina­ire de Draguignan conquiert Paris

- ANDRÉ PEYREGNE

Un jour l’écrivain Émile Zola écrivit ceci sur un grand musicien : « Vous êtes un maître et je vous prédis un grand succès devant un public parisien si impression­nable, fait pour comprendre toutes les délicatess­es et toutes les originalit­és de votre art. » À quel grand musicien s’adressait ce magistral compliment? À un pianiste virtuose, un violoniste célèbre, un ténor ou une diva d’opéra ? À un simple joueur de galoubet et tambourin venu de Draguignan, Tistet Buisson. Le galoubet et le tambourin sont les instrument­s de base du folklore provençal : une flûte à trois trous que l’on joue de la main gauche et un long tambour cylindriqu­e accroché à l’épaule que l’on frappe avec la droite. Tistet Buisson en jouait avec une virtuosité sans précédent. On le surnomma le « roi des tambourina­ires ».

Il rafle les premiers prix aux concours musicaux

Né à Draguignan le 12 novembre 1833, chapelier de métier, pris de passion pour le galoubet-tambourin, prénommé officielle­ment Philippe-Jacques mais surnommé Tistet, il devient la terreur des concours musicaux régionaux, raflant tous les premiers prix, poussant à la déprime les autres concurrent­s. Sa gloire acquise en Provence, il se rend à Paris. Nous sommes en 1872. Un premier concert à l’Alcazar surprend les auditeurs. Il joue avec un brio phénoménal, enchaîne des gammes chromatiqu­es – ce qui est un exploit sur un galoubet - imite le chant du rossignol, chante la sagesse des gens de chez nous : « Soufla che vent/ si vou ver ciaga non changa »-« Quel que soit le souffle du vent, le vrai sage ne change pas ». Les auditeurs sont aux anges, découvrent la musique papillonna­nte d’une lointaine province gorgée de soleil. Parmi les auditeurs se trouve le poète Théophile Gautier. Il invite aussitôt Tistet à venir jouer chez lui devant un parterre de journalist­es et de gens de lettres. Sa réputation est faite. Les récitals s’enchaînent : au Chatelet, aux célèbres concerts Besselièvr­e, dans les salons mondains. Sa faconde égaye les soirées. Le poète Frédéric Mistral y va de son compliment : « Mon brave Tistet, je me réjouis de vos succès, qui sont ceux de la muse provençale, et je vous adresse mes propres applaudiss­ements. Continuez, battez de plus belle le tambourin harmonieux et usez de moi pour tout ce qui pourra vous être utile. »

Il inspire Alphonse Daudet

Alphonse Daudet, célèbre auteur des Lettres de mon moulin ,en fait son modèle pour le personnage du tambourina­ire Valmajour dans son roman Numa Roumestan. L’histoire est celle d’un homme politique du midi parti pour conquérir Paris. Le personnage du tambourina­ire est excessif, caricatura­l, voire ridicule. Mais la renommée de Tistet n’en sera que renforcée. Le voici à Londres, puis à l’Exposition Universell­e de Paris en 1878. Il est une vedette ! Mais souvent la gloire des artistes n’a qu’un temps. Et soudain tout s’arrête. Du jour au lendemain, Tistet n’a plus d’engagement. Le public a fini par se lasser de son chant du rossignol et de ses airs méditerran­éens. Alors, galoubet et tambourin en berne, tête basse, il revient à Draguignan. Il dirige les musiques municipale­s des Arcs et de sa ville natale. Mais cela ne lui suffit plus. Il devient fou. On le voit errer en haillons dans les rues de Draguignan, ressassant les histoires de sa gloire ancienne. Au début de l’année 1882, on est obligé de l’interner à l’asile d’aliénés de Saint-Pierre à Draguignan. Il y mourra la même année. Ainsi finit, triste, la vie de Tistet, « roi des tambourina­ires. »

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(Photos DR) Tistet Buisson (ci-contre), qui a été compliment­é par Zola et a inspiré Daudet, a été reproduit sous forme de santon de Provence (ci-dessus).

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