Buisson, le tambourinaire de Draguignan conquiert Paris
Un jour l’écrivain Émile Zola écrivit ceci sur un grand musicien : « Vous êtes un maître et je vous prédis un grand succès devant un public parisien si impressionnable, fait pour comprendre toutes les délicatesses et toutes les originalités de votre art. » À quel grand musicien s’adressait ce magistral compliment? À un pianiste virtuose, un violoniste célèbre, un ténor ou une diva d’opéra ? À un simple joueur de galoubet et tambourin venu de Draguignan, Tistet Buisson. Le galoubet et le tambourin sont les instruments de base du folklore provençal : une flûte à trois trous que l’on joue de la main gauche et un long tambour cylindrique accroché à l’épaule que l’on frappe avec la droite. Tistet Buisson en jouait avec une virtuosité sans précédent. On le surnomma le « roi des tambourinaires ».
Il rafle les premiers prix aux concours musicaux
Né à Draguignan le 12 novembre 1833, chapelier de métier, pris de passion pour le galoubet-tambourin, prénommé officiellement Philippe-Jacques mais surnommé Tistet, il devient la terreur des concours musicaux régionaux, raflant tous les premiers prix, poussant à la déprime les autres concurrents. Sa gloire acquise en Provence, il se rend à Paris. Nous sommes en 1872. Un premier concert à l’Alcazar surprend les auditeurs. Il joue avec un brio phénoménal, enchaîne des gammes chromatiques – ce qui est un exploit sur un galoubet - imite le chant du rossignol, chante la sagesse des gens de chez nous : « Soufla che vent/ si vou ver ciaga non changa »-« Quel que soit le souffle du vent, le vrai sage ne change pas ». Les auditeurs sont aux anges, découvrent la musique papillonnante d’une lointaine province gorgée de soleil. Parmi les auditeurs se trouve le poète Théophile Gautier. Il invite aussitôt Tistet à venir jouer chez lui devant un parterre de journalistes et de gens de lettres. Sa réputation est faite. Les récitals s’enchaînent : au Chatelet, aux célèbres concerts Besselièvre, dans les salons mondains. Sa faconde égaye les soirées. Le poète Frédéric Mistral y va de son compliment : « Mon brave Tistet, je me réjouis de vos succès, qui sont ceux de la muse provençale, et je vous adresse mes propres applaudissements. Continuez, battez de plus belle le tambourin harmonieux et usez de moi pour tout ce qui pourra vous être utile. »
Il inspire Alphonse Daudet
Alphonse Daudet, célèbre auteur des Lettres de mon moulin ,en fait son modèle pour le personnage du tambourinaire Valmajour dans son roman Numa Roumestan. L’histoire est celle d’un homme politique du midi parti pour conquérir Paris. Le personnage du tambourinaire est excessif, caricatural, voire ridicule. Mais la renommée de Tistet n’en sera que renforcée. Le voici à Londres, puis à l’Exposition Universelle de Paris en 1878. Il est une vedette ! Mais souvent la gloire des artistes n’a qu’un temps. Et soudain tout s’arrête. Du jour au lendemain, Tistet n’a plus d’engagement. Le public a fini par se lasser de son chant du rossignol et de ses airs méditerranéens. Alors, galoubet et tambourin en berne, tête basse, il revient à Draguignan. Il dirige les musiques municipales des Arcs et de sa ville natale. Mais cela ne lui suffit plus. Il devient fou. On le voit errer en haillons dans les rues de Draguignan, ressassant les histoires de sa gloire ancienne. Au début de l’année 1882, on est obligé de l’interner à l’asile d’aliénés de Saint-Pierre à Draguignan. Il y mourra la même année. Ainsi finit, triste, la vie de Tistet, « roi des tambourinaires. »