Monaco-Matin

Bonnard, le peintre du Cannet

Sa femme n’était pas celle qu’il imaginait. Leur mariage a levé une partie du voile. Leurs morts ont donné lieu à l’une des grandes affaires juridiques des années cinquante

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u Cannet les rouges sont-ils plus rouges qu’ailleurs, les verts plus verts, les jaunes plus jaunes ? Peut-être le peintre Pierre Bonnard estimait-il cela au travers de ses lunettes cerclées. Et peut-être cela le poussa-til à s’installer au Cannet en 1927 avec son épouse. Il y resta jusqu’à sa mort en 1947. On disait qu’il avait une silhouette de notaire. Il est vrai que son allure n’était point celle, bohème, qu’on prête aux peintres. On le voyait tous les jours emprunter les chemins serpentant au-dessus de Cannes ou s’aventurer sur le sentier qui longe le canal de la Siagne. Il se nourrissai­t des couleurs qui tournent jusqu’au vertige lorsque le soleil illumine la Côte d’Azur. On était pendant les années de guerre. Est-il moins dur de vivre en période de guerre lorsqu’on habite Le Cannet? Bien sûr, comme partout ailleurs, on n’arrivait plus à s’approvisio­nner, les transports manquaient, le charbon se faisait rare, mais le climat du Sud adoucissai­t les douleurs du monde. Pierre Bonnard habitait avec sa femme Marthe dans une villa qui ressemblai­t à un chalet et s’appelait Le Bosquet. En 1939, il avait 72 ans. L’âge d’aller au front était passé depuis longtemps. Pendant la Première Guerre mondiale, il avait fait partie du groupe des peintres ayant reçu mission d’aller peindre les combats. C’était loin… Dans leur villa du Bosquet, Pierre et Marthe Bonnard vivent presque retirés du monde. Quelques amis viennent les voir. Lui, Pierre Bonnard, rend visite à Matisse à Nice. Mais, surtout, il peint. Il peint à tour de bras. Sa maison déborde de tableaux. Il y en a plus de deux cents. Il est connu. Il a déjà exposé à Paris, à New York. Ses oeuvres ont beaucoup de valeur. Pierre Bonnard a découvert vers 1904 la Côte d’Azur lors d’un passage à Saint-Tropez et à Nice. Il a effectué par la suite plusieurs séjours sur la Côte : à Grasse en 1912, à Cannes en 1914, 1917, 1922, à Antibes en 1917 et en 1918. Il a fini par être séduit par Le Cannet, à l’écart du tumulte du bord de mer. Il a d’abord loué la villa « Le Rêve », avenue Victoria, puis a acheté Le Bosquet en 1926.

Coup de foudre pour une jolie fleuriste

La vie passe au rythme des promenades quotidienn­es dans la nature et des carnets de notes et de croquis qui se remplissen­t, dont les pages sont ensuite épinglées sur le mur de son atelier. Les années de guerre sont assombries chez Pierre Bonnard par un autre drame personnel : la santé de sa femme. Elle est la femme de sa vie. Elle a été son modèle - en particulie­r pour le tableau l’«Indolente», exposé aujourd’hui au musée d’Orsay à Paris, pour le «Nu dans le bain» qui est présenté au musée d’art moderne de Paris ou pour les différente­s versions de la « Femme à la toilette ». Marthe est malade. Elle pourrait être hospitalis­ée, mais Pierre et elle ne supportent pas l’idée d’être séparés. Ils se sont rencontrés en 1 893 à Paris. Comme le raconte Françoise Cloarec dans un excellent livre paru récemment, intitulé L’indolente, il l’a vue descendre d’un tramway, a été subjugué par sa silhouette, l’a suivie jusqu’au magasin de fleurs où elle était vendeuse et l’a attendue jusqu’au soir à la sortie du magasin. Elle lui a dit : « Je vous ai vu ce matin, je pensais que vous viendriez… » Ils ne se sont plus quittés. « Je m’appelle Marthe de Méligny », lui a-t-elle dit. Et elle n’a plus jamais rien révélé d’autre sur elle, à part qu’elle était orpheline et sans famille. Lorsqu’ils décidèrent de se marier, au bout de… trente ans de vie commune, les papiers qu’elle dut fournir révélèrent une autre identité. Là – stupéfacti­on – Pierre Bonnard découvre que Marthe de Méligny, hypothétiq­ue descendant­e de la noblesse n’existe pas. Que la femme avec laquelle il vit depuis trente ans s’appelle Maria Boursin, qu’elle est la fille d’artisans du Berry. Et – on le saura par la suite – cela n’est qu’une partie de la vérité ! Peu importe du moment qu’ils s’aiment… Ils se marient. La nouvelle est mal reçue par Renée Monchaty, autre modèle de Pierre Bonnard, amoureuse du peintre, qui se suicide.

Coup de théâtre en plein deuil

Marthe, redevenue Maria pour l’état civil, meurt en 1942. Bonnard est désemparé. Neuf mois après la mort de sa femme, il reçoit de l’administra­tion une mise en demeure de déclaratio­n de succession. De quoi s’agit-il ? Voici le vieux peintre, âgé de 75 ans, chez Me Blanchardo­n, notaire à Cannes. Celui-ci lui demande si son épouse a fait un testament. « Un testament pour quoi faire ? Elle n’a pas de famille, pas d’enfant, aucun bien, je suis son seul héritier ». « Vous avez été marié sans contrat, réplique le notaire, l’ensemble de vos biens et de vos oeuvres appartienn­ent à la communauté du couple ». « Mais je suis son seul héritier ». « C’est à voir, réplique le notaire », lequel ne manque pas d’intuition.

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(Photos musée Bonnard au Cannet) La villa Le Bosquet avec son buffet et sa fenêtre peints par Bonnard, fait l’objet d’une reconstitu­tion en tableaux et photograph­iues au musée. Avec son allure de notaire Pierre Bonnard a été un peintre important du XXème siècle, vivant aux côtés de la...
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