Fipronil : « Une tradition d’opacité sur l’alimentaire »
La crise des oeufs contaminés montre les limites de l’information aux consommateurs. Autorités et industriels ont-ils été transparents? Entretien avec Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir
Depuis le début du mois, la France se débat avec la crise du fipronil, du nom d’un insecticide interdit, dont des traces ont été retrouvées dans des oeufs et des préparations alimentaires. Le fipronil susceptible de se retrouver dans nos assiettes, et dans nos estomacs, a été utilisé par des sociétés de désinfection intervenant dans des élevages de poules pondeuses. Pour éradiquer le pou rouge... en toute illégalité. Les investigations des autorités sanitaires sont loin d’être achevées et il est probable que la liste des produits concernés continue de s’allonger. Que révèle la crise sanitaire du fipronil? Entretien avec Alain Bazot, président de l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir. Comment analysez-vous la gestion de crise du fipronil par les autorités françaises ? On voit d’abord que l’Anses () a rendu un avis plutôt rassurant, un avis qui se voulait rassurant. C’est vrai qu’il ne faut pas non plus créer une psychose. Visiblement, le ministère s’est dit qu’il n’y a pas un risque grave de santé publique. Donc, il va prendre le temps d’identifier les lots de produits concernés, de les analyser, avant de communiquer. Nous, ce qu’on leur reproche, c’est de ne pas avoir informé en amont les associations de consommateurs. Le manque de transparence amène la suspicion.
Pensez-vous qu’il y a eu un retard à l’allumage? Le ministère ne sait pas tout, car tout n’a pas été mis au jour. Je ne suis pas en mesure de dire si les pouvoirs publics français ont traîné, mais ils ont manqué de transparence à partir du moment où ils ont été au courant. Ils ont communiqué au compte-gouttes. Au fur et à mesure, cela devenait plus important. On a été les premiers à réclamer très rapidement une identification de tous les produits concernés. Cela montre combien il est difficile de remonter les filières dans l’agro-industrie. On a le sentiment qu’on se heurte à un manque de coopération des industriels. Je ne suis pas persuadé qu’ils aient joué la transparence sur les filières d’approvisionnement. Ce n’est pas une tradition qu’ils jouent la transparence. On le voit lorsqu’on demande l’étiquetage des origines. Quand on demande des informations claires sur la qualité nutritionnelle des produits, ou encore sur la traçabilité.
Cela signifie que la traçabilité n’est pas entrée dans les usages ? Au moment de la vache folle, on nous disait même qu’il était impossible de tracer la viande. On voit ce qu’il en est aujourd’hui. Il y a une tradition d’opacité sur l’offre alimentaire, l’offre industrielle. Les approvisionnements se sont diversifiés et complexifiés.
Vu que les produits alimentaires passent les frontières, cela se joue donc au niveau européen? C’est effectivement l’échelle européenne qui est pertinente. Or, il n’y a pas de police de l’alimentation efficace et la coopération est défaillante entre les États membres. C’est chacun pour soi, chacun joue sa corde nationale. Les autorités belges ont clairement tardé. Et à l’échelon des États membres, il y a une insuffisance notoire des moyens de contrôle. Les règles existantes sont-elles suffisantes ? On n’est pas face à un déficit de règles, car le fipronil est bel et bien interdit. En revanche, il faut arrêter de diminuer les moyens des autorités de surveillance. En France, la DGCCRF ou la direction générale de l’alimentation n’ont pas des moyens suffisants, on le sait. Il faut arrêter de sousdoter les services de contrôle. On ne peut pas renforcer la liberté des entreprises et diminuer les capacités de contrôle. Il y a deux poids, deux mesures. Une Europe libérale qui autorise toute transaction, sans limite. La liberté y est le maître mot. En parallèle, on n’a pas établi les moyens de contrôle efficaces. Cela crée un déséquilibre qui ne peut qu’amener à plus de fraudes et plus de crise. Quel conseil donnez-vous aux consommateurs? Le discours actuel n’est pas très cohérent. On nous explique d’un côté, que ce n’est pas bien grave, tout en retirant des produits de la vente. Je ne sais pas bien si les gens arrivent à comprendre. Si le fipronil est interdit, on ne doit pas en retrouver du tout dans l’alimentation, c’est un principe. À l’UFC-Que Choisir, on conseille de ne pas consommer les produits identifiés.
Les produits sont retirés de la vente, mais pas « rappelés ». Quelle est la différence? On a organisé un retrait des produits, pas un rappel, ce qui permettrait de pouvoir les ramener. Notre conseil est d’aller en magasin en demander le remboursement ! Le consommateur n’a pas à faire les frais de produits achetés, qu’il a dans son placard, et qui contiennent une substance interdite.
Qu’attendez-vous des autorités ? À court terme, que les investigations continuent et que la population en soit informée, sans délai et sans restriction. Les autorités ont concilié principe de précaution, principe de réalité et préservation d’un secteur économique – c’est un savant dosage. L’alimentation est une question ultra-sensible, il faut en tenir compte. Il peut y avoir des relais, pour dire les choses, sans provoquer la panique. Il est nécessaire que les associations soient informées. La transparence franche, c’est un droit. 1. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation. 2. Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Dans l’Europe libérale, il y a deux poids, deux mesures” À l’UFC-Que Choisir, on conseille de ne pas les consommer”