« Renforcer le dialogue social, une bonne chose »
À Charlemagne, PME varoise de 150 salariés, on accueille les premiers éléments de la réforme avec réserve
Les yeux plongés dans les premiers articles de presse publiés hier sur le Web, Arnaud Rousseau et Philippe Meriotte passent en revue les mesures annoncées par le gouvernement sur la réforme du code du travail. Et on reste sur la réserve, faute d’avoir passé en revue les 150 pages d’ordonnance : « A première vue, les grandes lignes de cette réforme n’implique pas de changements fondamentaux pour notre entreprise», estime Philippe Meriotte. Il faudra prendre le temps de regarder plus en profondeur… Les deux hommes sont délégués du personnel dans une PME varoise : Charlemagne. La librairie-papeterie est passée en plus de vingt ans de 50 à 150 salariés, et est aujourd’hui implantée sur six sites du département du Var. Avant la rentrée scolaire, « l’activité est dense ici », explique Arnaud. Alors la réforme du Code du travail, on a beau en avoir entendu parler depuis trois mois, « cela ne fait pas partie de nos conversations quotidiennes. On reste concentré sur l’activité de l’entreprise.»
Fusion des instances représen tatives : une bonne nouvelle
On n’en demeure pas moins attentif à l’évolution du dialogue social. Ici, comme ailleurs, on accueille favorablement la fusion des instances représentatives du personnel : « L’entreprise compte une délégation unique du personnel composée de six membres, et d’un CHSCT où siègent deux représentants du personnel. On avait déjà du mal à trouver des candidats aux élections professionnelles…», concède Philippe Meriotte, et ce, même sans étiquette syndicale. La fusion des instances paritaires portera donc à 8 membres l’unique organe de dialogue social entre direction et salariés. « Ce sera plus simple, souligne Olivier Rouard, directeur général. C’était très lourd à gérer. » Comme ses représentants du personnel, Olivier Rouard a parcouru les articles de presse sur le sujet. Il relève «une volonté de simplification, administrative notamment, d’outils encore, pour le chef d’entreprise», mais plus encore: « Si l’esprit de la loi est de renforcer le dialogue social alors c’est une bonne chose. Cela permet de sortir de clivages syndicaux, et de donner plus de moyens de dialogue aux salariés, un dialogue adapté aux entreprises. Les syndicats ont le sentiment qu’on les écarte mais je n’ai pas l’impression que cela soit fait pour ça. » Le jeune patron varois pour qui « un délégué syndical doit défendre les intérêts des salariés en tenant compte de l’environnement de l’entreprise, le comprendre… et de parvenir à trouver un accord gagnant/gagnant, c’est cela le plus important. » À Charlemagne, patron comme salariés ne relèvent pas de raisons de se plaindre du dialogue social: «Cela fonctionne plutôt bien», relève Arnaud Rousseau. Et les aménagements du travail s’appuient le plus généralement sur la base du volontariat: «Lorsque nous avons décidé de mettre en place un service de 5 h à 13 h à notre dépôt de La Valette, nous l’avons fait sur la base du volontariat et aucun accord écrit et signé par les représentants du personnel ne l’a formalisé.» «Le CE a été consulté, précise Arnaud Rousseau. Le temps de travail ne changeait pas, c’était une adaptation, comme si dans un magasin on demande à du personnel de rentrer plus tôt pendant une semaine, on s’appuie sur les volontaires pour le faire, sans passer par un accord d’entreprise».
Les limites de la flexibilité
Flexibilité, le mot est lâché. Olivier Rouard abonde: «C’est vrai que l’on a besoin de faire face aux variations de l’activité économique.» Et ça se comprend. Mais comme le relève Annie, l’une des employées, sans parler de la seule entreprise Charlemagne : «La difficulté de la flexibilité, c’est qu’en dehors de l’entreprise, le monde n’est pas adapté pour les salariés qui y sont confrontés…» En substance: comment louer un appartement, disposer d’un prêt bancaire etc. sans garantie d’emploi à durée indéterminée? « Il faudrait que les pouvoirs publics, que le gouvernement, se penchent sur ce problème» qui pour le coup, est vraiment un problème de société. Me Caroline BlanchardCrego est avocate associée au sein du cabinet Capstan Avocats à Sophia Antipolis. Pour cette spécialiste en droit du travail, ces ordonnances sont « dans la continuité des lois Rebsamen (2015) et El Khomri (2016) ». Certaines dispositions de ces ordonnances avaient même déjà été proposées par les précédents ministres du Travail sans qu’elles ne soient finalement inscrites dans la loi. « Ces textes me semblent équilibrés : ils assurent un développement de l’économie tout en étant dans un schéma qui préserve les droits des salariés. » Elle estime que la limitation des indemnités aux prud’hommes en cas de licenciement abusif permettra de tendre vers une uniformisation de leur montant. « Aujourd’hui, les indemnités peuvent varier du simple au double voire au triple selon les juridictions. Et bon nombre de petites entreprises ont peur de recruter parce qu’elles ne savent pas ce que ça risque de leur coûter en cas de procès.» Quant à la réduction de vingt-quatre à douze mois du délai de recours aux prud’hommes, « il s’inscrit dans un processus amorcé il y a quelques années » puisqu’en 2013 la loi sur la Sécurisation de l’emploi l’avait déjà réduit de cinq à deux ans.
“Une première étape”
« Dans les petites entreprises, la part des employeurs qui abusent de leur position est marginale », poursuit Me Blanchard-Crego. Elle voit donc d’un bon oeil la mesure permettant aux chefs d’entreprise, lorsqu’il y a moins de onze employés, de négocier directement avec les salariés. Cela peut permettre de s’extraire d’un accord de branche qui n’est pas forcément à l’avantage du personnel. « C’est un cas que je rencontre avec des petites sociétés d’ingénieurs à Sophia Antipolis. Elles ne peuvent pas mettre en place le forfait jour qui permettrait pourtant aux salariés de disposer de dix jours de repos supplémentaire.» Satisfecit aussi s’agissant de la fusion des instances représentatives du personnel qui « simplifiera le fonctionnement sans porter atteintes aux droits des salariés ». Une réserve malgré tout sur la « lourdeur » des nouvelles instances. Seul vrai bémol dans les annonces d’hier : la réduction du périmètre du licenciement économique. Aujourd’hui, lorsqu’une entreprise veut lancer un plan social, on prend en compte sa situation dans tous les pays où elle est implantée. Désormais, on ne s’attachera qu’à sa santé dans l’Hexagone. « Il faudra veiller à ce qu’il n’y ait pas de dérives avec des groupes qui pourraient assécher leurs filiales françaises. » Ces dispositions serontelles suffisantes pour doper les embauches ? «La réforme du droit du travail fait partie d’un tout. C’est une première étape. Il faut que le gouvernement poursuive ses réformes tant en matière de formation professionnelle que dans le domaine fiscal. »