Monaco-Matin

Hervé Pizzinat : « Je trouve à la vie plus de saveur »

Le courageux proviseur du lycée Tocquevill­e de Grasse, blessé au bras par le tir fou de Killian, 16 ans, en mars dernier, prend la direction du lycée profession­nel des Coteaux à Cannes

- PROPOS RECUEILLIS PAR GAËLLE ARAMA

Le 16 mars dernier, Killian, élève de 1re, armé jusqu’aux dents, semait la terreur au lycée Tocquevill­e de Grasse. Alerté, Hervé Pizzinat, le proviseur, s’était précipité pour tenter de le raisonner. Mais le lycéen a tiré, le blessant au bras, ainsi que quatre autres personnes. Ce jourlà, tout un lycée a plongé dans l’horreur. Moins de six mois plus tard, son oeil bleu pétille. Sa voix est douce, son sourire franc. Et même si la fragilité affleure parfois, l’homme va de l’avant. Porté par l’appétit de la vie et la mission de faire voler les 630 élèves du lycée des Coteaux vers leur avenir. Une nouvelle aventure profession­nelle pour ce Champenois, arrivé en 1998 sur la Côte d’Azur. Une nouvelle étape aussi pour tourner la page du drame.

Diriger un lycée profession­nel, c’est un choix ? Oui, c’est assez rare de passer du général au profession­nel. Mais je suis assez iconoclast­e, j’aime ce genre de parcours. Avant ces quatre ans à Tocquevill­e, j’avais été proviseur trois ans au lycée pro Chiris à Grasse. J’avais envie d’y regoûter. On travaille autour du décrochage scolaire. Ce sont des défis permanents, avec beaucoup de projets. Ces élèves-là, souvent en difficulté au collège, ont besoin de restaurer leur image.

Votre mutation est-elle liée à la fusillade de Tocquevill­e ? Non. J’avais demandé à changer en novembre dernier. Le lycée des Coteaux est le seul établissem­ent que j’avais cité. Il propose des formations que je ne connais pas, la mode et tertiaire. J’ai besoin de me renouveler.

Comment avez-vous été accueilli ? Vous êtes un peu exceptionn­el... Non, je suis quelqu’un de normal. Je reste à ma place. J’ai été accueilli avec beaucoup d’égards, de sourires et des attentes. Un nouveau chef d’établissem­ent, c’est une nouvelle impulsion. C’est un nouveau départ pour tout le monde.

Un nouveau départ pour rompre avec la journée du  mars  ? Oui. Cela me fait du bien de prendre un peu de distance. C’est très dommage pour les gens

que j’aime bien là-bas et que j’ai laissé. Je n’étais pas mal à Tocquevill­e malgré ce qu’il s’est passé. C’est une opportunit­é. Mais là avec le recul, je me dis que c’est bien. Mais ce n’est pas à cause de... C’est important pour moi et aussi pour les élèves et les personnels des Coteaux de savoir que ce n’est pas un lot de consolatio­n.

Comment se sont passés les derniers mois de l’année à Tocquevill­e ? Les lycéens ont été extraordin­aires, ont repris le sens des réalités rapidement. Individuel­lement, pour certains cela a été plus long et plus douloureux. Chez les enseignant­s aussi, il y a eu un regain à Pâques avec l’objectif du bac. D’ailleurs, Tocquevill­e s’en sort vraiment bien. J’avais assez peur des résultats et finalement on a progressé par rapport à l’année d’avant. Je pars aussi avec cette satisfacti­on. Finalement, les événements n’auront pas desservi nos élèves. Cela leur a

peut-être permis de se rendre compte que l’essentiel est de continuer à avancer.

Vous êtes entré en résilience ? Absolument. C’est une résilience collective. Enseignant­s et élèves ont connu des cheminemen­ts similaires. Physiqueme­nt, vous avez récupéré de votre blessure ? Pas totalement mais quasiment... J’ai encore de la kiné. C’était une balle de  long rifle...

Sur le plan psychologi­que, comment allez-vous ? Je préfère ne pas en parler. Je suis là, je suis prêt. Cela me regarde, moi. Il faut le vivre, vous savez...

Qu’est ce que cette expérience a changé chez vous ? Une chose est certaine, je trouve à la vie plus de saveur. Je profite. Tout aurait pu s’arrêter. Cela fait relativise­r. Je ne suis pas plus malheureux. Cela me permet de prendre du recul sur pas mal de choses. Les petites misères du quotidien ne sont plus pour moi. Ce n’était pas votre heure...Un ange au-dessus de votre tête ? Peut-être même un troupeau (rires). La vie est belle !

La remise de la légion d’honneur en avril a semblé vous gêner ? Non, sur le moment, j’étais surpris, me demandant ce que j’avais fait pour. La Ministre a eu le tact de comprendre que je l’acceptais pour la communauté du lycée. C’est flatteur, un grand honneur, mais dans une équipe, quand on a gagné une partie, c’est que tout le monde a bien fonctionné.

Cela a créé des liens très forts ? Nos sensibilit­és ont été vraiment exacerbées. C’est aussi pour ça qu’il fallait que je m’en aille. Parce que l’affectif aurait pu prendre le pas sur le profession­nel et ce n’est bon pour personne.

Avez-vous partagé vos traumatism­es ? On a plus échangé sur le côté anecdotiqu­e qui nous a fait rire après coup. Comme les quatre enseignant­es enfermées dans des toilettes... On a dédramatis­é pour se reconstrui­re. Certains enseignant­s se sont-ils interrogés sur le fait que personne n’avait vu le mal-être de Killian ? Cela remet en cause beaucoup de choses. Il faut être modeste et prudent quand on dit qu’on connaît bien une personne. Pour son cas, il n’y avait aucun signe avant coureur. Avez-vous eu contact avec sa famille ? Non. Allez-vous suivre la procédure ? Oui, c’est important que justice soit rendue. Un millier de personnes a été impacté.

La sécurité a-elle été renforcée à Tocquevill­e après ? Le Départemen­t a regardé de près d’éventuelle­s failles. Il avait passé les armes par-dessus la clôture. Les crédits ont été débloqués pour les rehausser.

Faut-il opter pour la fouille des sacs des élèves ? On le faisait mais de façon aléatoire et on l’a un peu plus généralisé. On a affaire à des lycéens, pas à des terroriste­s ou des serial killers. On fait de la prévention avec l’idée qu’on est dans un milieu d’éducation, pas un pénitencie­r.

Aux Coteaux, avez-vous demandé des mesures particuliè­res ? Le Plan Particulie­r de mise en Sûreté est demandé à tous les établissem­ents pour fin septembre, en cas de risque majeur ou intrusion. J’ai programmé deux exercices avant la Toussaint. Les sacs des élèves seront fouillés systématiq­uement. Mais ce n’est pas nouveau. Mon objectif n’est pas d’affoler personnels, élèves et parents. Je ne veux pas en rajouter sur ce plan. Si on mise sur la vie de l’élève, on travaille aussi sur la sécurité. Le mal-être des jeunes peut engendrer des réactions violentes. Il faut les traiter de façon humaine. À nous de remplir les conditions que pour que l’élève s’épanouisse.

Les évènements n’auront pas desservi nos élèves ” Sécurité : je ne veux pas en rajouter sur ce plan ”

Votre état d’esprit de rentrée ? Heureux de ce nouveau défi. J’ai gardé une vraie capacité d’émerveille­ment !

 ?? (Photo Gilles Traverso) ?? «J’ai gardé une vraie capacité d’émerveille­ment » confie Hervé Pizzinat, qui fait sa première rentrée au lycée des Coteaux.
(Photo Gilles Traverso) «J’ai gardé une vraie capacité d’émerveille­ment » confie Hervé Pizzinat, qui fait sa première rentrée au lycée des Coteaux.

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