Marjorie et Guillermo: « Un sauvetage réciproque »
Chien martyr retrouvé au fond d’un puits en Espagne, comme des milliers lévriers ou galgos, Guillermo coule désormais des jours heureux dans notre région avec Marjorie Sronek
C’était il y a deux ans. À le voir, par ce bel aprèsmidi d’été, s’ébattre avec les autres canidés dans le parc aménagé à cet effet à Saint-Laurent-du-Var, on pouvait croire que Guillermo était un chien comme les autres. Sauf qu’il n’en était rien. Car Guillermo, recueilli à l’époque par Marjorie Sronek, avec qui nous avons refait le point aujourd’hui, est un galgo. Un représentant de cette espèce maudite en Espagne, à l’instar des podencos, possibles descendants des lévriers d’Égypte ancienne. On considère généralement les galgos, depuis des générations, comme un outil de travail au service des galgeros (chasseurs de lièvres), et non pas comme des êtres vivants doués de sensibilité. On leur y inflige alors les pires sévices une fois devenus « inutilisables ». Abandons au fond de puits, strangulations lentes, pendus à des arbres, brûlures, quand ils ne sont pas gazés ou traînés derrière des voitures, des dizaines de milliers de ces chiens martyrs vivent chaque année un enfer au pays de Cervantès.
« Mon galgo a rééquilibré mon ado »
« On garde les femelles, on leur fait mettre bas à outrance, et on retire les bébés à leur mère avant qu’ils ne soient sevrés, nous avait confié Marjorie, fonctionnaire de police à Nice. Puis on ne leur donne plus que du pain sec et de l’eau, de façon à ce qu’ils gardent un appétit ouvert. On les laisse un peu grandir, puis on les affame à nouveau avant de les mettre à la chasse. Ils sont tellement nombreux que peu importent les pertes. Si lors de leur “utilisation ”, il y en a un qui est trop faible, qui se casse une patte, ce n’est pas grave, on le laisse mourir sur le côté. » Face à tant de détresse animale, Marjorie, sensibilisée depuis plusieurs années déjà à la cause des galgos, avait décidé de réagir. « J’ai contacté L’appel des lévriers, l’une des trente associations permettant de recueillir des chiens de ce type en France. À ce moment-là, l’un de mes deux fils, que j’ai élevés seule, avait sombré dans la délinquance. Et aussi extraordinaire que cela puisse paraître, Guillermo a été sa thérapie. » D’autant plus impressionnant, en effet, qu’il faut avoir un profil bien particulier pour adopter l’un de ces chiens au comportement déroutant. « Il ne faut rien attendre d’eux au départ, explique, sans détour, Marjorie. Ils ne joueront pas avec vous, ne vous apporteront aucun réconfort. Ils sont comme des gamins sortis de l’orphelinat, des enfants un peu déréglés. » Est-ce la raison pour laquelle l’alchimie s’est faite, justement, entre l’adolescent et l’animal écorchés vifs? « À force de patience, d’amour, Simon a réussi à l’apprivoiser. Alors que Guillermo restait reclus les premiers jours, considérant sans doute l’humain comme son pire ennemi, il a changé du tout au tout en quelques mois. Lorsque mon fils s’accroupit devant lui, Guillermo s’assoit et le fixe intensément dans les yeux. Ils ont alors un échange de regards magnifique. Hier, on a même emmené notre galgo pour la première fois au restaurant, et ça s’est très bien passé. Nous avons été beaucoup aidés aussi par JeanLouis Drouvin, un formidable éducateur comportementaliste rencontré au parc à chiens. » De ces galgos, que le poète Gabriel Garcia Llorca appelait « les anges volant sur les nuages » et disait « qu’on en voyait un dans le regard de chaque enfant », faisant allusion au fait que leur espérance de vie en Espagne se limite à deux ou trois ans, on ignore encore toutes les merveilleuses possibilités d’interactions avec l’homme. Marjorie en est désormais convaincue: Guillermo, qui aujourd’hui est devenu à force d’amour et d’attention un chien au comportement similaire à celui des autres, a rééquilibré Simon, qui depuis, a intégré l’école des mousses. Et il est, d’après elle, « la plus belle chose qui lui soit arrivée ». Avec la naissance de ses enfants…