Procès Merah: comment le
A partir d’aujourd’hui, la cour d’assises spéciale de Paris juge le frère de Mohammed Merah et un autre complice présumé. Prévue sur cinq semaines, l’affaire inaugure une nouvelle ère terroriste
Le parcours complexe de Mohammed Merah a profondément rebattu les cartes de la nébuleuse de l’islamisme radical violent, tout comme le travail des services en charge de la lutte antiterroriste. » Cette affaire-là a tout changé. C’est le parquet de Paris qui l’écrit, en préambule de son réquisitoire aux fins de mise en accusation de 300 pages, lequel plonge dans les coulisses glaçantes des tueries de Toulouse et Montauban. C’était en mars 2012. Sept morts. Trois militaires assassinés. Une tuerie dans une école, qui saisit d’effroi la France et suscite une pause dans la campagne présidentielle. Un adolescent antibois grièvement blessé, marqué à vie. Et un terroriste, Mohammed Merah, abattu à l’âge de 23 ans par le Raid, au terme d’un assaut qui aura duré 31 heures.
Loup pas si solitaire…
Cinq ans et demi plus tard, l’ombre du « tueur au scooter » plane sur le procès hors normes qui s’ouvre aujourd’hui, à Paris, devant la cour d’assises spécialement constituée (seuls des magistrats professionnels y siègent). Cinq semaines durant, Abdelkader Merah, frère aîné et mentor religieux supposé de Mohammed, et Fettah Melki, fournisseur d’arme présumé, vont répondre de complicité dans les crimes de Toulouse et Montauban. Ils encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Un troisième mis en examen a bénéficié d’un non-lieu au cours de cette longue enquête. Longtemps, le qualificatif de « loup solitaire » a collé au casque du tueur au T-Max. La tenue même du procès laisse pourtant à penser que, s’il est passé à l’acte seul, Mohammed Merah ne l’était peut-être pas dans la conception de ses projets mortifères. «Merah, c’est tout sauf un loup solitaire ! Tout le dossier le démontre. Les charges contre les accusés sont accablantes », martèle Me Philippe Soussi, avocat niçois de Bryan Bijaoui, l’ado blessé à l’école Ozar HaTorah. A la lueur du dossier d’instruction, que Nice-Matin a pu consulter, Abdelkader Merah apparaît comme radicalisé, autoritaire et violent. Il nie toute connaissance – et a fortiori implication – dans les crimes de son frère. Mais les investigations ont « mis en lumière une participation plus importante qu’il n’entendait bien le dire », écrit l’accusation. Pour celle-ci, « Mohammed Merah a bénéficié, outre d’un soutien familial, d’un soutien logistique à même de lui assurer une discrétion et une efficacité certaines. » Ni loup solitaire. Ni membre d’une filière djihadiste. Ni bras armé d’une cellule constituée, comme celle de Khaled Kelkal qui frappa la France dans les années 90. Mohammed Merah présente un profil terroriste hybride, inédit et complexe.
L’acte avant Paris et Nice
Pour le parquet, les tueries de mars 2012 ont marqué « à la fois une résurgence de la menace terroriste sur le territoire français – et plus particulièrement de la mouvance islamiste radicale –, mais également le passage à un profil terroriste nouveau, moins facilement détectable et effaçant les frontières entre délinquance et islamisme radical.» Me Soussi complète: « L’affaire Merah, c’est l’acte 1 de ce qu’on vit aujourd’hui en France, en Europe et dans le monde. » L’acte 1, bien avant les tueries de masse à Paris en 2015, à Nice en 2016, ou encore à Berlin, Londres ou Barcelone. L’acte 1 qui inspire Jérémie Louis-Sidney, leader fanatisé de la cellule Cannes-Torcy, fasciné
par un Merah dont il partage la haine des militaires et des juifs. Cette affaire-là a été jugée au printemps. Mais le cas Merah marque un tournant dans les grands procès terroristes de l’ère moderne. Cinq semaines durant, l’accusation va disséquer les liens d’Abdelkader Merah et Fettah Melki avec le tueur. Et tenter d’établir des charges suffisantes pour conduire à leur condamnation. Pas seulement pour des délits de droit commun, mais bien pour leur éventuelle participation à une entreprise terroriste. En ce sens, le procès Merah en préfigure un autre : celui qui pourrait, un jour, conduire aux assises spéciales les neuf personnes mises en examen dans l’attentat du 14-Juillet.