« Il parle comme eux, et non contre eux »
C’était donc sa première interview télévisée devant des millions de téléspectateurs, d’autant plus attendue que le Président avait évité, y compris lors du jusqu’ici sacro-saint -juillet, de se livrer aux questions réponses des journalistes. S’il s’est résolu à le faire, c’est qu’il avait au moins deux pièges à déjouer, donc deux objectifs à fixer et faire comprendre, pour jalonner son parcours présidentiel. Il devait d’abord, et en effet, ce n’est pas secondaire, défendre son langage, ou plutôt ses écarts de langage : l’emploi des mots fainéants, cyniques, bordel – encore qu’ils figurent, y compris le dernier, dans le dictionnaire de l’Académie française –, lui a donné, qu’il le veuille ou non, l’image d’un Président distant, voire méprisant, ne se rendant pas facilement compte des difficultés d’un certain nombre de Français. Emmanuel Macron, tendu pendant les premières minutes, puis progressivement plus à l’aise, a défendu son discours, certes parfois vif, en formulant une critique des élites politiques plutôt que des français, ces élites, a-t-il dit, qui « se sont habituées depuis des années à ne pas dire les choses
». Sur ce point, aucun doute, une majorité des Français lui donnera raison, tant l’usage de la langue de bois ou l’art de l’esquive ont caractérisé, depuis déjà longtemps le discours politique. Ce n’est pas un hasard si le ton d’Emmanuel Macron tout au long de son intervention a été volontairement plus humble qu’on ne s’y attendait. Son objectif, montré qu’il est le Président de tous les Français, qu’il parle comme eux, et non contre eux. Le deuxième écueil à contourner était bien sûr plus difficile encore : Emmanuel Macron était aujourd’hui à la croisée des chemins. Il vient de faire passer, malgré des manifestations syndicales, la réforme du code du travail par ordonnances. Il a imposé sa conception de la flexibilité de l’emploi, sans lequel pour lui, le chômage n’aura pas de fin. Le budget que vient de soumettre le Premier ministre à l’Assemblée nationale envisage un certain nombre d’économies qui alarment certains, et enfin, le flottement sur l’ISF réservé aux seules valeurs mobilières en a ému plus d’un. C’était pour lui le moment de montrer qu’il n’est pas le Président des riches, mais que son but est, au contraire, loin de faire fuir les fortunes ailleurs, de les faire participer en France à l’investissement créateur d’emplois. Pari risqué peut-être, critiqué par la gauche, brocardé par la droite, mais c’est en tout cas le sien. Dans la partie qui s’ouvre de son quinquennat, Emmanuel Macron parlera donc davantage de sécurité de l’emploi que de sa flexibilité. Bref, au moment où l’on se disait que son quinquennat penchait à droite, il devait impérativement démontrer que, comme il l’a dit pendant sa campagne électorale, il ne serait ni de gauche ni de droite, mais pragmatique. Combien de temps se donne-t-il pour obtenir des résultats ? Un an et demi, deux ans, pas moins, mais pas plus. Pour transformer la société française comme il le veut, il lui faudra sans doute plus de temps, le quinquennat tout entier peut-être. Aura-t-il convaincu ? Il aura en tout cas replacé son action dans le temps pour répondre à l’impatience des Français.