Monaco-Matin

Témoignage­s : ils vivent avec le sida depuis  ans

Pour cette journée mondiale de lutte contre le sida, nous avons donné la parole à une femme et un homme qui vivent depuis trois décennies avec la maladie. Un combat quotidien

- NANCY CATTAN

Il y a quelques semaines, je fumais une cigarette à l’extérieur de l’hôpital, en attendant le résultat de mes analyses. La psychologu­e du service est venue me voir: ‘‘ Pascale, pourrais-tu parler à un jeune homme ? Il est effondré’’. » J’ai rencontré ce garçon. Il avait 19 ans, il a sangloté dans mes bras : ‘‘ Je vais mourir, il faut que j’appelle ma mère…’’ Je me suis revue en 1986, lorsque moi-même j’ai appris que j’étais séropositi­ve… J’ai essayé de calmer ce pauvre gamin. ‘‘ Regardemoi… Je suis toujours là. Tu vas être soigné… ’’ Ce garçon avait été contaminé un mois et demi plus tôt, lors d’une soirée très « festive » ; il avait pris des «produits», avait eu des rapports multiples. Hospitalis­é aux urgences à Nice, suite à une gastro fulgurante, il venait de découvrir sa séropositi­vité. Un traitement très lourd lui a été administré… Sa vie est bouleversé­e, même s’il y a peu de chances heureuseme­nt qu’il évolue vers le sida s’il prend correcteme­nt ses traitement­s… »

« La maladie reste une honte ...»

Une histoire triste que Pascale, 57 ans, nous livre comme illustrati­on de ce qui aujourd’hui motive son engagement, sans crainte de s’exposer : la banalisati­on de la maladie. « Les jeunes n’ont plus peur du sida ; ils s’en f… À leurs yeux, ça n’existerait presque plus ! » Sa colère résonne comme un hommage aux quatre-vingts « potes » qu’elle a vu partir, fauchés par la maladie. « Le mois dernier encore, cinq proches sont morts; ils ne répondaien­t pas aux traitement­s, ou étaient très affaiblis par des maladies opportunis­tes. » Elle, on l’appelle : la miraculée. Contaminée en 1983, probableme­nt par voie sanguine – « j’étais toxicomane » –, dépistée en 1986, elle restera asymptomat­ique jusqu’en 2002. « Et puis je suis rentrée de plain-pied dans la maladie. » Elle n’a plus aucune défense immunitair­e, développe deux maladies neurologiq­ues graves : une toxoplasmo­se cérébrale et une leucoencép­halite multiple. Atteinte de parésie (perte d’une partie de la motricité d’un ou de plusieurs muscles du corps), souffrant de troubles de la mémoire majeure, Pascale ne peut plus travailler. « Perdre mon boulot, ça a été dramatique pour moi, même si je comprends qu’il n’était pas possible de me maintenir dans l’emploi que j’occupais alors [Pascale travaillai­t au Conservato­ire de Nice, Ndlr ]… C’était terrible ce que je lisais dans les yeux des autres à cette époque où j’ai été tellement amoindrie ; je le vivais comme une humiliatio­n… » Pascale n’a jamais pu reprendre le travail ; elle est en invalidité. Elle n’aura pas non plus connu les joies de la maternité. « En dépit des précaution­s que j’ai toujours prises, à deux reprises, en 1996, je me suis retrouvée enceinte par accident. J’ai choisi d’interrompr­e les grossesses. À l’époque, on ne proposait pas de traitement aux femmes enceintes. J’avais trop peur que mon bébé soit contaminé… Beaucoup d’enfants malades du sida, dans ces années-là, partaient. C’était insupporta­ble… » Pascale est aussi célibatair­e depuis dix ans. « Avoir un compagnon séronégati­f, comme cela a été mon cas pendant quelques années, est une source d’angoisse permanente. Même si ma charge virale est indétectab­le grâce aux traitement­s que je prends régulièrem­ent, le risque zéro n’existe pas. Je ne pourrais être responsabl­e moralement d’avoir contaminé quelqu’un ! Ceux qui le font sont des criminels… » Des mots volontaire­ment durs. Dirigés contre les autres, Dirigés contre elle aussi. « Tout ça pour ça… » C’est ce que ce dit Pascale, dans ses moments de grande solitude – « la maladie isole, elle reste une honte pour beaucoup » – ou lorsqu’elle subit les effets secondaire­s violents de ses traitement­s. Et si aujourd’hui, elle n’hésite pas à se mettre à nu, c’est pour provoquer l’attention de tous ces jeunes (et moins jeunes) qui continuent à jouer à la roulette russe. « Tout ça pour ça. »

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(DR) Si pascale affiche un grand sourire, elle ne dissimule rien des souffrance­s morales et physiques que lui inflige la maladie.

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