De l’autre coté de la

Elle ne parle pas, ou par bribes. « Sister ? » Elle dessine des chiffres en l’air avec la pointe de l’index, ça ressemble à un 8 et peutêtre un 2 – ses lèvres articulent silencieusement autre chose. « Twenty-eight ? » traduit une jeune femme avec des lunettes, penchée au-dessus du bureau. Derrière elle, une étagère a été bricolée en forme de casier à téléphones portables. Ils sont rangés et branchés là, tous étiquetés, avec un numéro et un prénom. C’est le premier service rendu par le « Point info » ouvert il y a un peu moins d’un an à Vintimille : une consigne à téléphones pour que les migrants rechargent ce qui leur sert de principal instrument de voyage. Deux cents appareils en moyenne ont été branchés chaque jour cette semaine, selon la page Facebook « Eufemia - Info & Legal Point » sur laquelle est tenu un décompte précis. La précédente en avait vu défiler 1 008 ; le mois de décembre, 4 820. Le local offre aussi un accès Internet avec cinq ordinateurs : 420 utilisateurs à la semaine, et la liste d’attente s’allonge encore. Celle qui cherche le téléphone s’appelle Christina, elle est allemande. Celle qui le demande, Zaïna, est érythréenne. Elles ont à peu près le même âge, quelque part entre 20 et 25 ans. Elles sont toutes les deux arrivées à Vintimille il n’y a même pas trois jours, et pourtant elles se sont déjà croisées au moins une dizaine de fois le long de la Via Tenda, coincée entre la gare et le pont qui supporte un bout d’autoroute. C’est là que Zaïna dort, sous une toile bleue tendue à la diagonale d’un muret. C’est là que la journée s’étire, au rythme des allers-retours entre Caritas, le secours catholique italien ouvert le matin pour le petitdéjeuner et la distribution de vêtements ; et le parking, où des bénévoles servent un repas chaud le soir. Le « Point info » est entre les deux. À chaque fois, il faut traverser la voie de chemin de fer, celle qu’empruntent en sifflant les TER qui vont en France. La barrière du passage à niveau se baisse une bonne dizaine de minutes avant l’arrivée du train, alors les gens ont pris l’habitude de passer en dessous quand la police ne regarde pas. On raconte que l’amende peut aller «de 30 à 500 euros». Federica rigole : «La fourchette est large, hein ?! » Elle a 41 ans – en paraît dix de moins – et ses parents vivent à côté, à Taggia. C’est l’une des rares bénévoles « locales » au « Point info », les autres viennent de toute l’Europe – Allemagne, Espagne et Angleterre en tête, à chaque fois pour quelques semaines ou quelques mois. Federica, elle, ne s’absente que pour « faire les saisons. Je gagne un peu d’argent, comme ça après je peux revenir ici. » Elle dit : « Ici, tout le monde s’en fout, les autorités s’en foutent d’eux. Ils ne font rien pour ceux qui sont sous le pont, parce qu’ils veulent tout le monde au camp de la Croix-Rouge. » Il est situé à trois kilomètres à l’extérieur de la ville. À Vintimille, les migrants sont rares dans le centre, «parce qu’ils ont peur de se faire arrêter», poursuit-elle. Comme certains ont tendance à se regrouper devant le local du « Point info », les relations avec les voisins se sont tendues. Federica a scotché, à même la vitre, des petits mots d’information traduits en arabe et en tigrigna, l’une des langues parlées en Érythrée: «Ne restez pas dans la rue si vous voulez que le service continue. » Ça n’a pas suffi. La veille, l’association a eu droit à une inspection de l’agence sanitaire locale : « Ils ne nous ont pas embêtés », souffle l’Italienne.

 téléphones rechargés chaque jour ” Ici, tout le monde s’en fout. Tout le monde s’en fout d’eux ”

 litres de thé le soir  litres le matin

À l’intérieur, ça ne désemplit pas. Deux fois par semaine, l’après-midi est réservée aux femmes. Elles sont plus nombreuses depuis le début du mois de janvier, « une cinquantaine », disent les bénévoles, qui s’occupent aussi des enfants pour que les mères puissent prendre «un peu de temps ». Les rideaux de fer sont à moitié baissés, des couvertures sont étendues sur le sol. De la musique tra-