Monaco-Matin

Frontière, ils font face à l’urgence

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ditionnell­e a remplacé le hip-hop qu’écoutent d’habitude les hommes. Ruby, 27 ans, est venue avec son sac de pelotes de laine et ses pochons de henné. Elle apprend aux filles à tricoter, et dessine sur leurs mains des motifs à la commande. « J’ai appris à copier », dit-elle. Elle est arrivée d’Angleterre, au milieu du mois de novembre et repartira fin mars. Elle voyage en van avec Rosie, une « copine originaire de la même petite ville dans le Sommerset ». Dans la remorque, elles font du thé. 100 litres le matin, 150 litres le soir, thé noir et thé au lait, la distributi­on a lieu sous le pont. Le projet humanitair­e, financé par des appels au don réguliers, s’appelle «SolidariTe­a». Elles avaient d’abord décidé de se rendre à Calais. Mais lorsqu’elles sont arrivées dans la « Jungle », le créneau était déjà occupé. Alors elles sont descendues jusqu’à la frontière suivante : Vintimille. Ruby relève la tête, la musique vient de s’arrêter. Les plombs ont sauté, la faute au dernier fer à lisser allumé. Elle se lève : « Wait. »

« No Red Cross, no camp »

« Hanan, two. » Hanan n’a pas le numéro 2, mais elle récupère deux téléphones. «Full?» La responsabl­e hoche la tête. Hanan est Érythréenn­e, elle est arrivée la veille, après avoir traversé toute l’Italie, enceinte de 9 mois. Au « Point info », elle a récupéré un manteau, un pull et des chaussures, puis tout le monde a essayé de la convaincre de se rendre au camp de la Croix-Rouge pour bénéficier d’un suivi médical. Hanan a répété «No», «No Red Cross, no camp». Pas question d’aller au camp, làbas, elle en est persuadée, on ne la laissera pas repartir parce qu’un relevé d’empreintes y est effectué. Ce qu’elle veut, c’est passer la frontière, tout de suite, le plus vite possible, la France, et après on verra. « Elle s’est mis en tête que son bébé devait naître là-bas », dit Federica. Elle hausse les épaules et tombe sur une chaise : « Bon là je suis fatiguée, je suis un peu au bout… mais c’est désespéran­t. » Le « Point info » n’est pas un lieu d’hébergemen­t. Si Hanan ne tente pas de quitter l’Italie ce soir, elle dormira sous le pont, dehors, avec les autres. Ils y restent en moyenne entre 7 et 15 jours, selon le temps qu’ils mettront à passer la frontière. Ils partent à pied ou en train, échouent, réessaient, cycle vrillé. Actuelleme­nt, entre 200 et 300 hommes, femmes et enfants, essentiell­ement originaire­s d’Afrique de l’Est, vivent sous des petites tentes et de grandes bâches. «En janvier 2018, on a vu passer 1 333 personnes, 62 % d’Érythréens, 29 % de Soudanais. Ils sont entrés par les ports du sud de la Sicile. 33 % d’entre eux sont mineurs », indique une responsabl­e de Caritas.

Le bus pour Tarente

«Je crois qu’il y a le bus.» Bea est espagnole, kiné de profession. Le bus en question, c’est celui pour Tarente, le « hotspot » des Pouilles, à 1 148 kilomètres de la frontière franco-italienne. 17 heures de trajet aller, 5 à 10 jours pour tenter un retour. Bénévoles et migrants avaient fini par mémoriser les horaires : « Avant, il passait deux fois par semaine, le mardi et le jeudi. J’ai l’impression que les jours de départ sont devenus aléatoires », relève une femme. À l’intérieur dubus,ilya ceux qui ont été refoulés à la frontière française ce jour-là, mais cela ne suffit pas toujours à le remplir. « C’est quand même rare qu’ils se fassent arrêter lorsqu’ils restent sous le pont », ajoute Bea. Sur le parking à côté, les hommes jouent au foot et au billard sur des petites tables pour tuer le temps. On y trouve aussi quelques briques de vin et des bouteilles de bière. « Again, again, again [Encore, encore, encore, Ndlr] », articule un homme la voix pâteuse, un billet de train pour Marseille dans la main. « Nice, Marseille, then Paris. » Ça n’a pas marché cette fois, il retentera demain, ou après-demain. Et ensuite ? Sous le pont, ils rêvent d’Allemagne, d’Angleterre et de Pays-Bas. Bea a gardé le contact avec certains d’entre eux qui sont passés. «En fait, ça ne s’arrange pas forcément. La migration, c’est une course. Quand tu t’arrêtes, tu tombes, tu as le temps de réfléchir, ils repensent à ce qu’ils ont vécu, c’est dur. » 18 heures, les hommes arrivent par petits groupes au « Point info » pour récupérer le mobile qu’ils ont laissé charger. Les femmes sortent. Tous remontent la Via Tenda jusqu’au parking. Le dîner est servi, il a été préparé dans un camping aux alentours de Sospel par les « Vikings ». C’est comme ça que les locaux les ont appelés, parce qu’ils sont grands, plutôt blonds, et souvent allemands. Christina en fait partie. Elle raconte que dans son université, ils ont monté une associatio­n pour participer à cette action humanitair­e pendant leurs vacances. Ce soir, ils sont presque tous nouveaux. Fébriles, ils se hâtent de remplir assiettes et gobelets, parce qu’ensuite, il y a foot. Séville contre Manchester United, huitièmes de finale de la Champions League. Zidane organise la projection. Palestinie­n, il est en Europe depuis plusieurs années, et sur le point d’obtenir un permis de séjour. Comme d’autres qui ont fini par choisir de demander l’asile en Italie, il donne un coup de main au « Point info ». « Sister, hot water ? » Elle montre un biberon. «Baby.» Elle veut de l’eau chaude, il n’y a pas d’eau chaude. À côté des gros conteneurs de thé, le mince filet qui sort d’un petit jerrycan est froid. Entre le parking et le pont, les locaux des pompiers et de la Protection civile, il n’y a même pas un robinet…

La migration, c’est une course, tu t’arrêtes, tu tombes ”

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Entre  et  personnes vivent actuelleme­nt sous le pont de Vintimille.
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Les travaux de Ruby.

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