La start-up aurait escroqué des milliers de donateurs
Le patron de la société Rifft basée à Sophia Antipolis a été mis en examen et incarcéré la semaine dernière. Il avait même créé une plateforme de crowdfunding pour financer ses « inventions »
Quel est le point commun entre un petit robot familial baptisé Fuzzy, le bracelet connecté CT Band et WiSurf, une station de recharge par induction forcément révolutionnaire? Ces trois produits hightech ont été développés par la société Rifft, une start-up azuréenne récemment sélectionnée pour aller représenter la French Tech locale au CES de Las Vegas, véritable Mecque de l’innovation… Créée il y a à peine trois ans à Sophia Antipolis, cette entreprise qui compte une vingtaine de salariés avait le vent en poupe. Du moins jusqu’à ce que son patron se fasse interpeller la semaine dernière. Après 48 heures de garde à vue, Lucas Goreta, le p.d.g. de Rifft, a été transféré au tribunal d’Annecy où il a été mis en examen pour escroquerie et placé en détention provisoire.
millions collectés et souscripteurs
Cet homme affable, qui se présentait parfois comme ingénieur de mesure ou même astrophysicien, est en effet originaire de Haute-Savoie. C’est donc dans la juridiction où se trouvait son dernier domicile connu qu’une information judiciaire a été ouverte lorsque les premières plaintes à son encontre ont été déposées, il y a quelques mois déjà, par d’anciens salariés et des souscripteurs. Car pour financer ses inventions, le p.-d.g. de Rifft – pour Research & Innovation for future technologies – multipliait les opérations de crowdfunding. Il avait même créé sa propre plateforme de financement participatif… en Angleterre. Lucas Goreta aurait ainsi réussi à lever plus de 4 millions d’euros en l’espace de deux ans auprès de huit à dix milles souscripteurs ! Il faut dire que l’offre pouvait paraître alléchante. La start-up azuréenne proposait à ses généreux financeurs de leur reverser des royalties sur les ventes futures des produits qu’elle était en train de développer. Et ces innovations s’annonçaient forcément prometteuses. La preuve: certaines ont même été distinguées par le mythique Consumer Electronics Show de Las Vegas. Lors de l’édition 2017, le bracelet connecté CT Band, censé s’adapter à n’importe quelle montre traditionnelle, y avait reçu deux Awards. Et pas plus tard qu’en janvier, dernier la start-up avait récidivé lors de l’édition 2018 pour son projet, cette fois, de station d’alimentation et de recharge sans fil pour smartphone, tablette et drone ! Avec de telles inventions et un taux de redistribution promis aux « donateurs » de 15 % sur son chiffre d’affaires, pour une mise de départ qui n’excédait pas les 200 euros, Rifft n’a eu aucun mal à collecter des fonds.
Montage à la Madoff ?
Le hic, c’est que la mise sur le marché des produits était sans cesse repoussée. Alors même que Rifft obligeait, semble-t-il, ses souscripteurs à les pré-acheter ! Certains se sont donc impatientés et ont saisi la justice. Or, Lucas Goreta n’en était pas tout à fait inconnu. Pour une précédente affaire d’escroquerie, l’homme a déjà été condamné en 2007 à 18 mois de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction de gérer une entreprise. Il a de nouveau été cité en 2013 lors d’une audience du tribunal correctionnel de Bordeaux. À l’époque il n’était pas question de start-up mais de fonds de pension, et les diamants faisaient office de produits high-tech. Mais les montages financiers étaient néanmoins assez similaires et ressemblaient à ce qu’on appelle un montage de Ponzi. Une structure pyramidale où les nouveaux souscripteurs financent avant tout le train de vie de ceux qui sont à son sommet. Ce qui, en son temps, avait d’ailleurs fait la fortune d’un certain Bernard Madoff… Et qui, en France, est totalement interdit. Pourtant, la société Rifft est suspectée de s’être servie de ses premiers contributeurs comme de rabatteurs. Sur plusieurs forums spécialisés, certains dénoncent l’arnaque dont ils s’estiment victimes. Et n’hésitent pas à mettre en ligne des comptes rendus de réunion où Lucas Goreta luimême se vante d’avoir des comptes au Luxembourg, en Suisse et dans les Îles Vierges Britanniques. Voilà qui risque fort d’intéresser la justice et le service de police judiciaire d’Annecy qui a stoppé, mardi dernier à Biot, l’irrésistible ascension du startupper azuréen.