«Nous avons traité urgences vitales en heures»
Invité du Dr Eric Voiglio, le Pr Patrick Bacqué a raconté son expérience du -Juillet à Nice. Une expérience dont il a également tiré les enseignements puisque le professeur est également responsable chirurgical au sein du pôle Urgences Adulte-SAMU-SMUR du CHU de Nice.
Comment avez-vous mis en place cette incroyable machine d’urgence le soir du -Juillet ? Nous nous sommes servis d’un exercice plan blanc qui avait été fait pour l’Euro car un attentat dans les stades pouvait être craint. Mais nous avons découvert beaucoup de choses le jour de l’événement.
Vous êtes formés à ce type de situation ? À la chirurgie d’urgence, oui, puisque nous en faisons tous les jours. Le problème a été que tout le monde est arrivé en même temps. Il a fallu gérer le tri des malades, la radio, le bloc opératoire et la réanimation. Il nous a fallu environ une heure pour tout mettre réellement en place. Il fallait surtout que des gens expérimentés prennent des décisions et travaillent ensemble.
Des décisions certainement lourdes de conséquences et pourtant prises très rapidement…
Oui, c’était difficile parce qu’il y avait beaucoup de traumatismes fermés, des écrasements. Nous étions donc obligés d’avoir des imageries qui guident le geste opératoire. C’est ce qui a compliqué les choses. Ce n’était pas comme au Bataclan où les plaies par balle vont directement au bloc opératoire.
Combien avez-vous accueilli de blessés et traumatisés au total ce soir-là ? patients. On a fait urgences vitales en trois heures sur douze salles d’opération. Les cliniques et hôpitaux proches étaient en alerte mais tout a été centralisé à Lenval d’abord (pour des raisons de proximité avec le lieu de l’attentat), puis à Pasteur. À trois heures du matin, toutes les urgences vitales étaient opérées.
Une prouesse ? Nous n’avons pas été bloqués par la logistique.
Étiez-vous nombreux en ce -Juillet, jour férié, pendant les congés d’été ? Nous étions très nombreux ! Les infirmières ont été contactées par SMS par le plan blanc. Ce qui n’a pas fonctionné pour les médecins. Mais ils sont tous venus. Du fait du -Juillet précisément, les vingt salles opératoires de Pasteur étaient libres.
Qu’est-ce qui a le moins bien marché ? C’est la centralisation de l’information. La connexion numérique a été le principal problème. On a dû revenir au bon vieux tableau pour noter ce qui était fait. Les patients arrivaient sans identité. Or, tous les hôpitaux sont connectés pour que l’on ne puisse pas faire une prise de sang ou un scanner sans identité. Dans le fonctionnement actuel, dès qu’un examen est fait, il y a un dossier numérique qui regroupe toutes les informations. Ce qui a provoqué beaucoup de stress pur les familles puisque nous ne pouvions pas annoncer un décès ou une situation grave sans vérifier l’identité. Les équipes de l’administration et des soignants ont été remarquables car elles ont absorbé l’agressivité des familles qui voulaient des nouvelles.
Quel bilan tirez-vous ? Nous avons compris que nous pouvions faire face de façon très efficace. On a une expérience qui est assez solide maintenant. Il faut faire des exercices grandeur nature pour roder la communication et la coordination de l’ensemble. C’est difficile à organiser car il faut à figurants et que tout le personnel administratif et soignant joue le jeu. Il faut noter que ce type de situation pourrait très bien se reproduire dans notre région car les traumatismes étaient ceux d’un tremblement de terre. C’était des personnes écrasées. Globalement, nous avons été surpris du niveau de soin que nous avons pu proposer. Tous les professeurs d’orthopédie, tous les internes sont venus. Je n’ai jamais vu autant de chirurgiens et d’anesthésistes opérationnels au même endroit. Je me suis rendu compte de la force que l’on avait en terme de rendement de soins. J’étais impressionné que l’on parvienne à faire toutes ces urgences vitales en un temps aussi court. C’était inédit. C’est une expérience que l’on a qu’une fois dans sa vie.
Une expérience traumatisante pour vous-même? Sur l’instant non. Ce qui fut traumatisant furent les autopsies réalisées à la faculté de médecine. J’ai fermé complètement la fac aux étudiants. On a fait une partie des autopsies dans le laboratoire d’anatomie. Une unité mobile de la gendarmerie s’est déplacée. Les familles cherchaient leur mort et n’avaient pas d’information. C’était terrible.
Est-ce qu’il existe des formations spécifiques pour gérer ce type de crise ? Il y a des diplômes d’université de médecine de catastrophes pour les internes mais pas dans le cursus normal de médecin.