Une discussion autour de la laïcité et la morale
Le diocèse de Monaco a invité deux brillants intellectuels venus débattre du rôle des chrétiens dans la vie publique. Une discussion sur la laïcité mais aussi sur la morale
En 1952, 92 % des Français se disaient catholiques et 88 % des enfants étaient baptisés avant leurs trois mois. » Aujourd’hui, les chiffres tombent respectivement à 50 et 30 %. «À partir de 1969, une fracture se produit et il y a une perte de substance. » Pour Philippe Portier, agrégé de Sciences politique, professeur à Sciences-Po Paris, il y a incontestablement un modèle qui se défait entre l’Église et la société. C’est en tout cas les positions qu’il partage avec Alexandre Thebault, fondateur du parcours de formation L’Étincelle sur « l’agir du chrétien en politique ». Tous deux étaient les invités du diocèse de Monaco qui vient d’organiser une soirée de discussions, animée par le journaliste Louis de Courcy, à l’Auditorium Rainier-III, sur le thème « Politique : quelle place pour les chrétiens ? » Un rendez-vous auquel ont notamment participé Monseigneur Bernard Barsi, le président du Conseil national Stéphane Valeri, Christophe Robino, conseiller national et président de la Commission des Intérêts Sociaux et des Affaires Diverses et Jacques Pastor, adjoint au maire de Monaco.
« La laïcité est un principe, non une valeur »
La société évolue; notamment depuis la place grandissante de l’islam en France. « Le catholicisme évolue aussi. Nos sociétés sécularisées émettent une demande », note Philippe Portier. Sans remettre en cause la laïcité, ou la séparation stricte de l’Église et de l’État qui trouve son émergence à partir de la troisième république, il s’agit de résoudre « une crise d’identité », pur reprendre l’expression d’Alexandre Thibault. Il explique : « L’équilibre qui a prévalu en France pendant un siècle est ébranlé par l’islam. La laïcité est un principe et non une valeur. Derrière tout cela s’expose le problème de la culture et du patrimoine. » La laïcité oui, mais laquelle? « Il me semble qu’elle a connu une évolution depuis 1905, souligne Philippe Portier. Le pape Pie X a expliqué à l’époque qu’elle était une violence. Et pourtant cette laïcité a permis à l’église de se séparer d’un certain nombre de chaînes et d’obtenir une liberté qu’elle n’avait jamais goûtée auparavant. (...) Puis François Mitterrand, en 1983, explique que le temps de la morale est venu et il fait appel aux forces spirituelles. À partir de 1990, nous nous trouvons bousculés par l’installation d’un islamique qui s’affirme de plus en plus fort. Ça marque les jeunes générations. La laïcité cesse de devenir un principe pour être une valeur. »
« Morale de la conviction, morale de la responsabilité »
Alexandre Thibault constate cette « mutation, parce que l’on croit que la laïcité a suffisamment d’épaisseur pour nourrir les jeunes. La jeunesse qui se réfugie dans l’islam pense, quant à elle, que l’État ne la reconnaît pas. Mais sur des sujets comme le port du voile ou l’égalité hommes femmes, c’est un problème culturel. C’est un sujet de droit pas de laïcité.» Sur toutes ses questions sensibles, il s’agit donc que les chrétiens retrouvent le sens du politique pour s’inscrire dans le défi des fractures sociales et culturelles en pensant la nation à partir de sa substance, son histoire. «Il y a probablement dans l’évangile un tropisme d’accueil, note Philippe Portier. Emmanuel Macron pose la question de savoir comment on peut articuler ce principe d’hospitalité avec le principe de réalité. Le 9 avril, au Collège des Bernardins, devant les évêques de France, le président de la République nous dit que l’Église a en elle une morale de la conviction alors que le politique a une morale de la responsabilité. » Concilier le sentiment de liberté et l’héritage du passé, c’est l’enjeu pour tous. « Les catholiques ont réussi à mettre en oeuvre des positions qui ont changé, note Alexandre Thebault. C’est la force et la richesse du catholicisme. Le progrès doit s’incarner dans une temporalité qui nous précède. » «Sur la gestion de l’intime, de la famille, des nouvelles technologies, nous sommes confrontés à des défis que nous n’avons jamais rencontrés », souligne Philippe Portier. Les deux hommes sont favorables à un engagement de l’Église en politique. Mais comment ? « C’est la possibilité d’une ouverture qui permet aux croyants et non croyants de se retrouver et de rassembler toute la population », selon Philippe Portier. Quand les chrétiens parlent d’amour, il s’agit peut-être de retrouver le sens de la « fraternité ». Une valeur que Stéphane Valeri et Mgr Barsi disent partager.