Monaco-Matin

«Ma maladie guérit avec moi » Témoignage

Atteinte d’anorexie mentale depuis l’âge de 15 ans, Charlotte a flirté avec la mort. La jeune fille veut aujourd’hui faire comprendre toute la complexité de sa maladie

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin. fr

Je vais bientôt avoir 22 ans et j’ai souffert d’anorexie mentale et de dépression durant 7 ans. Ca a été un passage très difficile mais j’ai réussi à m’en sortir. Comme mes parents se sont battus pour moi, j’aimerais à mon tour me battre pour faire entendre mon histoire, mon expérience. Et surtout faire comprendre que l’anorexie, ce n’est pas juste: “je ne mange pas et je me fais vomir”. C’est beaucoup plus complexe que ça.» Il y a quelques jours, Charlotte prenait sa plume pour nous adresser ces quelques mots. Nous l’avons rencontrée. Rencontré son sourire tendre, son regard très mûr, sa force et aussi sa grande fragilité. Charlotte avait 15 ans quand la maladie a fait irruption dans sa vie. L’adolescent­e longiligne (50 kg pour 1,70 m), que ses parents nomment à cette époque « le ventre de la famille » évolue dans un foyer uni. Elle est joyeuse, amuse ses grands frère et soeur… Bref, rien ne laisse présager ce qui va se passer.

« Je ne veux plus m’interroger »

«Tout a commencé lorsque ma meilleure amie a décidé, alors que cela n’était pas du tout justifié, de maigrir. Je l’ai suivie dans son régime; elle me disait: “Viens, on va manger un panini, et puis après, on se fera vomir…” Même si ce qui s’est passé là n’est pas la cause, cela a été le déclencheu­r…» Son amie ne « tombera » pas dans l’anorexie. «Pourquoi cela a été mon cas? Je ne sais pas, et je ne veux plus essayer de répondre à cette question mille fois abordée avec tous les psys que j’ai dû consulter pendant les années qui ont suivi.» Des années au cours desquelles Charlotte aura une seule obsession: le nombre de calories ingérées. «J’ai commencé à sauter le repas du midi. Et le soir, je disais à mes parents que j’avais trop mangé et que je n’avais pas faim. Je ne m’autorisais à manger que des légumes vapeur, du jambon blanc… Déjà sportive, je me suis mise à pratiquer le sport à outrance…» Charlotte maigrit. Beaucoup. Beaucoup trop. Pendant que sa famille assiste dans la douleur à cette descente aux enfers, Charlotte, elle, reste aveugle face à sa métamorpho­se. «Je ne me voyais pas maigre. Aujourd’hui encore…» L’adolescent­e se pèse jusqu’à 5 fois par jour, à l’affût de quelques grammes supplément­aires qu’elle va alors s’efforcer de perdre en durcissant encore «son régime». «À 16 ans, je ne pesais plus que 32 kg. À cette époque mes parents ont voulu que je sois hospitalis­ée. Cela n’a pas été possible. Moi, j’étais plutôt contente. Dans ma tête, il y avait deux voix: cette petite voix vicieuse, malsaine qui me disait: “Tu es bien comme ça, reste maigre, ne mange pas, c’est plein de calories…” Et puis une autre voix, qui essayait de rattraper les choses, mais qui n’arrivait pas à se faire entendre.On est loin d’un simple problème de nourriture, il y a vraiment un dédoubleme­nt de la personnali­té.» Le corps décharné, épuisée, souffrant le martyr en position assise, à cause de ses os saillants, Charlotte décide pourtant de poursuivre sa scolarité, à mi-temps. Mais elle est de plus en plus désocialis­ée. «En première, j’ai perdu tous mes amis. J’étais dépressive. Pour moi, l’anorexie mentale et la dépression sont liées.» Sa mère, qui est devenue « son infirmière» s’épuise à essayer de la faire manger. «Mais, dès que je le pouvais, je jetais ce qu’elle achetait.»

« On pense que l’on va perdre son enfant »

(DR) Son père, Marc, qu’elle va maintenir à distance pendant plus de 4 ans, est présent pendant que Charlotte nous livre son témoignage. C’est elle qui a souhaité qu’il soit là. Peutêtre pour qu’il témoigne de son vécu douloureux. «On est impuissant à soigner son enfant. Et on n’a aucune aide. Arrive un moment où l’on ne cherche même plus à comprendre. On voit la courbe de poids descendre et on pense que l’on va perdre son enfant… Oui, j’ai pensé qu’elle allait partir », lâche Marc, les larmes aux yeux. «Pourquoi j’ai évincé mon père pendant toutes ces années? Je ne sais pas», confie Charlotte, en couvant son père des yeux. À cette question, et à beaucoup d’autres, aucun des psys qu’elle a consultés ne lui aura fourni de réponse. Envers certains, elle éprouve encore de la rancoeur. «Ils me gavaient d’antidépres­seurs, de somnifères. Mais je ne faisais que souffrir des effets secondaire­s. Alors j’en changeais tout le temps. » Charlotte est parfaiteme­nt consciente que sa maladie a mobilisé toute sa famille, occupé tout l’espace. «Mon frère évitait autant qu’il le pouvait la maison. Et je le comprends. Je suis désolée, je passe mon temps à le dire…»

Quitter le cocon familial

La jeune Grassoise passera son baccalauré­at, qu’elle obtiendra avec mention malgré son état de santé très dégradé. Et, après une année de mise à niveau, Charlotte va décider de s’inscrire en BTS hôtellerie-restaurati­on à Nice. Elle prend un appartemen­t sur place, mais ne parvient pas à y rester. Quinze jours plus tard, elle retourne au domicile de ses parents. «J’étais incapable de rester seule. Je me mettais encore plus en danger.» Au cours de ses stages, la jeune fille, soumise à rude épreuve, ne parvient pas à soutenir le rythme. Ses parents sont encore appelés au secours. « En fait, je caressais un rêve, aller à l’étranger. J’avais trouvé un stage aux États-Unis. Mais lorsque le responsabl­e a su que j’étais anorexique, il m’a dit que ce n’était pas possible, qu’il y avait trop de risque. Et là, j’ai tout fait pour le faire changer d’avis. Et j’ai réussi», sourit Charlotte. Rien à cette époque n’est encore gagné. Ses parents se tiennent prêts à aller la chercher, si les choses tournent mal. Mais, si les premiers temps s’avèrent difficiles, Charlotte va tenir. Et elle ne le regrettera pas. «Plus qu’un stage, cela a été une thérapie. Je me suis éloignée du cocon familial, ça m’a beaucoup aidé par rapport à la maladie. J’ai appris que je pouvais me débrouille­r seule, même si mes parents étaient là bien sûr, que je les avais très souvent au téléphone… Cela a été une expérience formidable.» Tellement formidable que Charlotte va souhaiter la reproduire. Après un bref séjour en France, elle choisit de s’envoler à nouveau pour les États-Unis, où elle restera cette fois, 8 mois. Cela fait seulement un mois qu’elle est rentrée en France. Elle nous confie pudiquemen­t qu’elle a désormais un amoureux là-bas. «Il sait tout, il m’aide… Là-bas, ce n’est pas comme en France, on ne juge pas, on accueille.» De retour chez ses parents, Charlotte avoue des moments parfois difficiles. Avec une maladie qui tente parfois de se refaire entendre. Mais son discours est résolument positif. Et elle a cette conclusion, tout en nuances : «Aujourd’hui, c’est clos, même si cela reste fragile. Mais moins fragile qu’il y a un an, avant mon départ. En fait la maladie grandit avec moi, elle guérit aussi avec moi…» Charlotte et ses parents veulent créer une associatio­n d’aide aux personnes touchées directemen­t ou indirectem­ent par l’anorexie mentale. Contact: charlotte.cadenat@gmail.com

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Pendant quatre ans, Charlotte a ignoré son père. Aujourd’hui, elle le retrouve avec ces mots : « Je suis désolée...»

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